Depuis la prise de parole publique de deux associations, les “arrestations arbitraires” d’Africains subsahariens se sont interrompues. Pourtant, les stigmates qu’elles ont causés se font encore ressentir au sein de la communauté. Cette dernière déplore également le manque de soutien affiché de la part des autorités.
Le 10 février dernier, l’Association des étudiants africains en Tunisie (Aesat) et l’Association tunisienne de soutien des minorités (Atsm) organisaient une conférence de presse pour dénoncer la vague “d’arrestation arbitraire sans justifications, ni explications » dont étaient victimes les Africains subsahariens, principalement des étudiants, depuis le mois de décembre.
À la même période, trois Subsahariens étaient arrêtés pour l’enlèvement d’un enfant à Sfax, déclenchant de nombreux commentaires racistes. Quelques jours plus tard, le secrétaire général régional des forces de sécurité, Ezzedine Fathali, s’inquiétait de “la multiplication du nombre de ressortissants subsahariens », invoquant l’impératif sécuritaire de lutter contre l’implantation du groupe terroriste Boko Haram. Si pour Cristian Kwongang, président de l’Aesat, il est impossible de faire un lien direct entre ces événements et les ”rafles”, on peut aisément supposer que cela ait jeté de l’huile sur le feu.
Lors de cette conférence, l’Aesat avait indiqué avoir recensé quelque 300 histoires de ce type : « des étudiants en règle arrêtés dans les transports en commun, devant leur université ou même carrément chez eux. Une fois emmenés au commissariat, la procédure était toujours la même. Après un prélèvement salivaire et une prise d’empreintes digitales, ils étaient photographiés par un agent avec une pancarte où figurait leur nom écrit en arabe et leur date de naissance ». Selon l’ONG Terre d’Asile en Tunise, les autorités se sont justifiées officieusement par “un recensement”, afin d’endiguer l’immigration illégale de Subsahariens. Une version réfutée par le ministère de l’Intérieur. Il a indiqué qu’aucune directive n’avait été donnée, les arrestations étant du ressort “des commissariats”.
Des séquelles encore présentes
Depuis la prise de parole des deux associations, l’Aesat a constaté une baisse considérable des arrestations. “Nous n’en avons plus recensé depuis fin février”, soit deux semaines après la conférence. Pour Christian Kwongang l’opinion publique “a joué un rôle majeur” en faveur de l’interruption de celles-ci. Pour autant, un sentiment d’indignation inonde toujours la communauté subsaharienne. “On aurait aimé que les autorités fassent une déclaration publique, cela nous aurait permis de nous sentir soutenus. »
Plus d’un mois après, ils sont encore nombreux à ne plus se promener aussi librement qu’avant, à éviter certains quartiers. “C’est quelque chose qui restera gravé dans la mémoire de tous ceux à qui c’est arrivé” assure le président de l’association. Alors que le pays accueillait 12 000 étudiants subsahariens avant la pandémie, il n’en dénombre plus que 7 000. Un chiffre qui pourrait encore décroître au vu des derniers événements et de la difficulté croissante pour obtenir le renouvellement des titres de séjour. Une perte non négligeable pour le pays du Jasmin : “un membre de notre communauté qui vient étudier en Tunisie, c’est quelqu’un qui partagera plus tard ses valeurs. Beaucoup de hauts cadres africains ont fait leurs études ici et sont fiers de le revendiquer. Nous sommes aussi des enfants de ce pays !”.
Theodore LAURENT