Après deux années moribondes, le millésime 2022 est très attendu par le secteur touristique. Les voyants ne sont pas encore au vert, mais plusieurs facteurs laissent entrevoir des motifs d’espoir. L’économie du tourisme devra, cependant, s’adapter à la guerre qui touche l’Europe, à la transition écologique et consolider son marché intérieur.
14,2 % du PIB, plus de 100 000 emplois directs et 290 000 emplois indirects. L’étude réalisée par le cabinet de conseil KPMG en 2019, démontre toute l’influence du tourisme dans le fonctionnement de l’économie du pays.
Il ne va pas s’en dire que le secteur a très mal vécu les longs mois d’arrêt forcé à cause de la pandémie du Covid-19. Mohamed Moez Belhassine, le ministre du Tourisme et de l’Artisanat, a évoqué « une perte de plus de sept milliards de dinars » pour les hôteliers, agences de voyage et autres opérateurs de tourisme. Le rebond aperçu en 2021 a seulement permis de combler les trous dans la raquette.
Malgré la levée de l’état d’urgence et l’allègement progressif des restrictions sanitaires, les experts s’accordent à dire que 2022 ne verra pas le retour du « plein-tourisme ». Ce dernier ne devrait vraisemblablement pas intervenir avant 2024. De plus, la guerre en Ukraine, ajoutée aux incertitudes d’une résurgence de la pandémie, devraient favoriser la consolidation du marché intérieur.
Dans ce contexte, la Cheffe du gouvernement Najla Bouden présidait, mercredi dernier, une séance de travail ministérielle consacrée à examiner le plan de reprise de l’activité touristique pour la période post-Covid. L’objectif affiché : atteindre 50 à 60 % des performances de 2019. Cette année-là, les recettes avaient frôlé les six milliards de dinars.
La reprise du tourisme européen menacée par la guerre en Ukraine
Durant l’été 2021, la Tunisie accueillait à bras ouvert le retour des voyageurs en provenance de Russie et d’Europe de l’Est. Selon les chiffres du ministère, les Russes étaient, après les Français, le deuxième contingent le plus important de visiteurs européens avec 630 000 entrées en 2019. Quant aux Ukrainiens, ils étaient plus de 30 000 à avoir mis le cap sur le pays du Jasmin. Sauf que depuis, la Russie de Vladimir Poutine a décidé d’envahir son voisin ukrainien, s’exposant à de multiples sanctions de la communauté internationale. Avec la forte dévaluation du rouble qui affecte le pouvoir d’achat des ménages, « le nombre de touristes russes sera en repli remarquable », commentait Mohamed Moez Belhassine, le 9 février dernier.
Autre conséquence de la guerre, l’augmentation du prix des transports aériens. Selon l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE), celle-ci aura un impact sur les prix offerts par les tour-opérateurs et pourrait décourager de nombreux voyageurs européens.
Pour le moment, le tourisme français (900 000 visiteurs en 2019) ne semble pas impacté. Air France œuvre même au renforcement des lignes aériennes avec la Tunisie. En avril, celles reliant Paris à Djerba et à Monastir seront réactivées. À partir de fin mai, la compagnie aérienne lancera un vol quotidien entre Orly et Tunis, en plus de la ligne régulière Paris CDG-Tunis.
Devant ces incertitudes, la Tunisie mise sur le retour de voyageurs provenant des pays voisins (Algérie, Libye) et son marché « domestique ».
La Tunisie compte sur elle-même et sur ses proches voisins
Le marché algérien, premier pourvoyeur de touristes en Tunisie (3 millions en 2019), est scruté de près. Selon Slim Tlatli, ancien ministre du Tourisme et co-fondateur du Tunisian Tourism Think Thank, il présente deux avantages : « L’accessibilité en termes de transport et d’hébergement. Les Algériens peuvent traverser les frontières par voie terrestre et n’hésitent pas à louer chez des particuliers, contrairement aux Européens ». Sauf que pour le moment, les frontières terrestres ne sont que partiellement ouvertes. Une délégation de la Fédération tunisienne des agences de voyage (FTAV) s’est rendue à Oran pour la 12e édition du salon international du tourisme. Au cours de celle-ci, il était question de « négocier la réouverture des frontières entre les deux pays pour polariser les touristes algériens ».
Le tourisme intérieur, qui représentait 20 % des nuitées passées avant la pandémie, devrait atteindre 40 % en 2022 selon plusieurs consultants. Longtemps considéré comme le parent pauvre du tourisme tunisien, le marché intérieur a servi d’alternative à la régression de la fréquentation internationale. « Il a été une planche de salut ces deux dernières années », confirme l’ancien ministre. Mis à part cela, il présente des avantages indéniables : dynamisation du flux touristique tout au long de l’année, prolongation de la saison et amélioration du rendement du secteur.
Conscient du rôle qu’il a joué pour limiter les répercussions de la pandémie, le ministère du Tourisme œuvre à établir une stratégie de développement de celui-ci. Belhassine souligne qu’il poursuivra, en coordination avec les professionnels du secteur et l’Office national pour le tourisme tunisien (ONTT), à mettre en place des campagnes nationales de promotion.
Afin de stimuler le marché tunisien, les pouvoirs publics pourraient « encourager les entreprises à offrir à leurs salariés des chèques vacances, à la manière de ce que fait la France », estime Slim Tlatli.
Quid du tourisme alternatif ?
Pour beaucoup, le contexte pandémique aurait dû servir de révélateur et d’accélérateur au développement du tourisme alternatif. « On sent que c’est quelque chose de désiré, mais pas d’acté. On en parle depuis des années sauf qu’on ne voit que peu d’actions concrètes », analyse l’ancien ministre. Aux antipodes du tourisme de masse, il s’appuie sur le développement économique et social des territoires concernés en se souciant de la durabilité des écosystèmes. Les différents produits qu’il propose misent sur la rencontre culturelle par le biais de l’artisanat, l’agriculture et la proximité avec la nature.
Le secteur rencontre des difficultés en termes de reconnaissance. Selon l’association Edhiafa, 50 établissements de ce type ont reçu l’agrément de l’État sur les 300 recensés. L’absence de classification par l’ONTT sanctionne indirectement les promoteurs de l’alternatif, puisque les banquiers estiment ces investissements trop risqués. Le lancement du projet « Grow Together » fin 2021, premier accélérateur dédié au tourisme durable, démontre, toutefois, que les choses commencent à bouger. Ce programme permet à 15 startups et entreprises innovantes d’être accompagnées dans leur évolution.
Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), publié lundi dernier, ne laisse planer aucun doute : il ne reste plus que trois ans pour éviter une catastrophe climatique. Le tourisme étant un gros émetteur de gaz à effet de serre, il doit accélérer sa mue sous peine d’être complice du désastre qui se prépare.
Théodore LAURENT