Qu’elles soient organisées par les partisans du président Kaïs Saïed ou par l’opposition, les manifestations rue ne drainent plus des foules immenses. Pris en étau entre la hausse du coût de la vie et la pénurie de plusieurs produits alimentaires, les Tunisiens semblent lassés de cet interminable jeu de mobilisation et contre-mobilisation.
Les rangs étaient clairsemés. La marée humaine espérée n’était pas au rendez-vous, et la déception se lisait sur les visages des organisateurs. La manifestation organisée dimanche par le « Front de salut national », le collectif « Citoyens contre le coup d’Etat » et le mouvement Ennahda à l’Avenue Habib Bourguiba a rassemblé, tout au plus, entre 2000 et 3000 personnes seulement (entre 950 et 1000 personnes, selon le ministère de l’Intérieur).
Les organisateurs, dont l’ancienne première vice-présidente de l’Assemblée des représentants du peuple Samira Chaouachi et le coordinateur du collectif Citoyens contre le coup d’Etat Jawher Ben M’barek, ont, quant à eux, évoqué pompeusement le chiffre de 30.000 participants !
Indépendamment de cette habituelle bataille des chiffres entre le ministère de l’Intérieur et l’opposition, la foule était moins dense dimanche qu’espéré alors que le Front du salut national, constitué le 26 avril autour du vétéran de gauche Ahmed Nejib Chebbi, pensait attirer de nouveaux soutiens au camp anti-Saied.
Ce front est pourtant composé de cinq partis (le mouvement Ennahdha, Qalb Tounes, la Coalition Al Karama, le mouvement Tounes Al Irada et le parti Al Amal), et de plusieurs « initiatives citoyennes » (collectif Citoyens contre le coup d’Etat, Rencontre nationale de Salut, le mouvement Tunisiens pour la démocratie, la rencontre pour la Tunisie).
L’automne dernier, ces formations avaient mobilisé jusqu’à 6 ou 7.000 manifestants. « La plupart des manifestants sont des militants encartés du mouvement islamistes Ennahdha, comme », reconnaît l’un des organisateurs du rassemblement.
Manque d’enthousiasme et lassitude
Les manifestants, dont une bonne partie des manifestants arboraient barbes poivre et sel pour les hommes et voiles colorés pour les femmes, se sont rassemblés devant le théâtre municipal sur l’avenue Bourguiba, l’artère principale de Tunis ont dénoncé les décisions du président Kaïs Saïed qui gouverne et légifère par décrets depuis le 25 juillet dernier.
« Dégage, dégage », « Le peuple veut ce que tu ne veux pas », « A bas le coup d’Etat », clamaient-ils à l’adresse du chef de l’Etat.
Brandissant des pancartes « Nous vaincrons » ou encore « Nous sommes unis, pas divisés », ils ont réclamé « un retour à la démocratie », « le respect de la Constitution » et plaidé pour la « formation d’un gouvernement de salut national ».
Ali Dridi, un manifestant âgé de 64 ans, s’est dit « déçu de l’affluence alors que la Tunisie est entrée de plain-pied dans une dérive dictatoriale et que la cherté de la vie devient insupportable ».
La première manifestation organisée par le Front de salut national intervient une semaine, jour pour jour, après un rassemblement des partisans du président de la République devant le théâtre municipal, qui a été également marqué par une faible mobilisation. C’est que la rue ne semble plus répondre aux appels des acteurs politiques par manque d’enthousiasme pour les projets qu’ils portent, et surtout par lassitude dans un contexte économique et social très difficile.
Bien que le président de la République demeure très populaire dans les sondages publiés régulièrement par les divers cabinets- Les Tunisiens lui accordent un préjugé favorable ou du moins le bénéfice du doute-, les faibles nombres de participants aux manifestations de rue organisés aussi bien par les partisans du pouvoir que par les principaux mouvements d’opposition et les taux très bas de participation à la consultation nationale électronique sonnent comme un désaveu de l’ensemble de la classe politique alors que l’écrasante majorité des Tunisiens sont pris en étau entre une inflation galopante et des difficultés économiques insurmontables. Le peuple, qui a la tête ailleurs, inflige en quelque sorte un carton jaune à sa classe politique déconnectée des réalités.
Walid KHEFIFI