Par Raouf KHALSI
Romain Gary a écrit ce morceau d’anthologie.
« Je suis à priori contre tous ceux qui croient avoir absolument raison. (…) Je suis contre tous les systèmes politiques qui croient détenir le monopole de la vérité. Je suis contre tous les monopoles idéologiques. (…) Je vomis toutes les vérités absolues et leurs applications totales. Prenez une vérité, levez-la prudemment à hauteur d’homme, voyez qui elle frappe, qui elle tue, qu’est-ce qu’elle épargne, qu’est-ce qu’elle rejette, sentez-la longuement, voyez si ça ne sent pas le cadavre, goûtez en gardant un bon moment sur la langue – mais soyez toujours prêts à recracher immédiatement. C’est cela, la démocratie. C’est le droit de recracher. »
Il est vrai que la démocratie, c’est le moins mauvais des systèmes. Les Grecs en convenaient, déjà des temps de la splendeur de leur « Cité ». Avec la théorie sur la séparation des pouvoirs, Montesquieu plaçait des garde-fous pour que le pouvoir arrête le pouvoir et contre toute tentation absolutiste. Mais il n’est pas dit que la démocratie en sorte toujours triomphante. Parce que, souvent, les équilibres basculent, comme ce fut le cas chez nous, tout le long d’une décennie de bigoterie, de ploutocratie ayant conduit le pays à sa ruine.
Tout, finalement, est dans les textes. Tout est dans la manière dont on fait du texte un prétexte.
Eloignons-nous des sphères partisanes. Demandons aux Tunisiens si une constitution écrite à la discrétion des partis leur a assuré le bien-être, a répondu à leurs questionnements existentiels ou, du moins, rétabli les équilibres socioéconomiques, résolu le gouffre chômage abyssal …
Sauf que, puisque tout le mal vient d’une constitution taillée sur mesure pour les lobbys gravitant autour des partis (pas tous), il était clair que la refonte du régime devait commencer par là. Sadok Belaïd est-il en train de tailler un costard à la mesure de Saied ? Ce dernier risque-t-il de s’ériger en « monarque présidentiel » ? Tout, finalement, est dans le dosage.
Allons néanmoins dans le sens que donne Romain Gary à une démocratie qui se révèle être inappropriée, « outrancière » sous des allures faussement égalitaires : cette démocratie est, en effet, « recrachée », mais sans renoncer aux fondements universels sur lesquels elle a été bâtie.
Il n’y a plus de mystères : ce sera un régime présidentiel. Comment ? On attend d’en connaître les mécanismes.
Sauf que le pays doit se remettre en marche. Car la situation est pour le moins explosive. Juste que le bon sens doive prévaloir. Juste que l’Exécutif et la Centrale syndicale rattrapent le coup.
Parce que, sur le fond, Saied et Taboubi ont un souci commun : « recracher » une démocratie qui a pris le peuple en otage.