Dans une lettre publiée en exclusivité, ce dimanche 3 juillet 2022, sur les colonnes de notre consœur Assabah, le président-coordinateur de la commission consultative Sadok Belaid a exprimé pour la première fois sa position par rapport au projet de la nouvelle constitution publiée récemment au JORT, et qui fera l’objet du référendum du 25 juillet.
Intitulé « Ce fut une mission juste pour des fins injustes », le texte de la lettre de Belaid est comme suit :
« Le 25 juillet est la date de la décision cruciale pour le peuple tunisien, à savoir le vote sur un nouveau projet de constitution pour la République tunisienne dans le cadre d’un référendum.
Nous espérons encore que ce processus électoral se déroulera dans les meilleures des conditions et aboutira à une décision sans équivoque à travers une voie électorale loyale et sincère, comme le veut toute véritable démocratie.
Il a été officiellement décidé, en mai dernier, de rédiger un nouveau projet pour le pays, et un comité (que le Président de la République, m’a honoré de le présider et coordonner ses travaux par un décret publié le 23 mai courant), a été chargé de sa préparation ; pourvu que ce comité présente un projet de constitution à M. le Président le 20 juin, c’est-à-dire après une période ne dépassant pas quelques semaines.
Avec une si courte période et malgré les pressions et les critiques qui nous sont venues de toutes parts, nous avons relevé le défi grâce à notre conviction que contribuer à la rédaction d’un texte digne de notre peuple est nécessaire face à un référendum et à un projet national, que nous avons également compris que la présidence est déterminée à les mener jusqu’à leurs termes – que nous y participions ou non. En effet, le comité, composé d’un groupe de nos meilleurs compatriotes, a respecté les délais, remettant le projet requis à M. le Président à la date spécifiée.
Comme nous l’avons déjà indiqué à plus d’une occasion, le comité national chargé de cette responsabilité est une structure purement consultative, sans pouvoir de décision comme certains l’ont décrit. Cela signifie deux choses : premièrement, la tâche de la commission se termine automatiquement le jour où son projet est présenté auprès du Président, c’est-à-dire à la date du 20 juin ; deuxièmement, M. le Président de la République a le droit de décider du sort de ce projet, un droit que nous avons accepté comme condition imposée par le décret portant création du comité. Cependant, ce droit a des limites convenues et concertées, fondées sur le fait de veiller à ce que la confiance entre les deux parties soit installée mutuellement, la confiance de M. le Président de la République d’une part, et du comité chargé d’autre part, et ce, conjointement avec l’engagement de la partie chargée de la mission (le comité consultatif national) envers le cadre de cette responsabilité, et le respect de l’auteur de la mission (c’est-à-dire le Président de la République) de l’effort de la commission et de ses recommandations en s’y référant et en la consultant sur les modifications qu’il pourrait apporter au projet proposé.
De manière générale, nous aurions accepté des modifications partielles et mineures qui pourraient être apportées à la première version du brouillon. En revanche, ce serait complétement différent dans le cas de changements radicaux qui toucheraient l’essence même et l’esprit du texte que nous avons déposé, comme ce fut malheureusement le cas avec le projet présenté par la présidence dans le Journal Officiel.
Il est de notre devoir de déclarer vivement et sincèrement que le texte qui a été publié dans le JORT et proposé au référendum n’a rien à voir avec le texte que nous avons préparé et présenté à M. le Président. Par conséquent, en tant que président coordinateur du comité consultatif national, et après consultation et approbation de mon ami le professeur Amin Mahfoudh, je déclare avec regret et en pleine conscience de la responsabilité envers le peuple tunisien, le dernier décideur dans ce domaine, que le comité est totalement « innocent » du projet soumis au référendum national par M. le Président.
Dans le but de mettre en lumière toute la vérité et informer tout le monde, j’ai décidé de publier le texte intégral du projet, que nous avons travaillé pendant de nombreuses heures et jours à mettre en place et dont j’assume la responsabilité, et rien que ce texte, devant le peuple et devant l’histoire.
Et ce qui m’incite à crier la vérité va au-delà du souci de respecter les formalités convenues généralement en matière des responsabilités consultatives, pour être à l’origine de ce que nous considérons comme beaucoup plus grave : nous pensons que le texte de la Présidence de la République comporte de sérieux risques et pièges qui me rendent responsable de les dénoncer. Étant donné que le moment ne permet que la brièveté, je vais me contenter maintenant d’en mentionner quelques-uns :
-La déconstruction et la déformation de l’identité tunisienne.
-Un retour douteux au chapitre 80 de la constitution de 2014 s’agissant du « danger imminent », par lequel le chef de l’Etat garantit de larges pouvoirs dans des circonstances qu’il décide seul, ce qui préparerait à un régime dictatorial déshonorant.
-Absence de responsabilité politique à l’égard du Président de la République.
-Un système régional et sous-régional suspect, ambigu et mystérieux qui met en garde contre des surprises indésirables à l’avenir.
-Organisation incomplète et injuste de la Cour constitutionnelle et de ses compétences, tels que la limitation de ses membres à la magistrature par un système de nomination limitant son indépendance.
-Absence des aspects économique, social, culturel et environnemental du projet officiellement présenté.
Le temps limité nous oblige à nous contenter de ce qui précède, et nous présenterons plus tard une étude détaillée de l’ensemble de ce dossier important, si Dieu veut.
Enfin et surtout, il m’est agréable d’exprimer ma gratitude à tous ceux qui m’ont aidé à accomplir cette mission malgré les difficultés que j’ai rencontrées, c’est-à-dire à tous les membres du comité consultatif et à ses agents et à tous ceux que j’ai consultés, et d’apprécier leur sincérité, leur patriotisme et leur rêve d’une Tunisie meilleure , et de les remercier de me faire personnellement confiance. Ma publication de notre projet est aussi la manifestation de mon respect absolu pour eux et pour leurs efforts.
Sadok Belaid,
Ancien président coordonnateur du comité consultatif national pour une nouvelle république.
Traduction par Rym CHAABANI