Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des Représentants américaine, a quitté Taïwan mercredi midi après y avoir atterri la veille. En réaction, la Chine a déployé des sanctions commerciales contre Taïwan, ainsi que des exercices militaires près de l’île. Nancy Pelosi joue-t-elle « avec le feu », comme la menaçait le ministère chinois des Affaires étrangères ? La visite express de la cheffe des députés américains, mardi 2 août à Taïwan, a déclenché la fureur de Pékin, qui ne reconnaît pas l’indépendance de l’île et considère qu’elle fait partie intégrante de son territoire. En réponse à ce passage controversé, lors duquel les États-Unis ont réitéré leur soutien à Taïwan, Pékin a annoncé le lancement d’exercices militaires d’ampleur. Pourquoi une telle visite, dans un contexte géopolitique déjà tendu ? Une action militaire de la Chine est-elle aujourd’hui à l’ordre du jour, dans la foulée de l’invasion russe de l’Ukraine ? Gros plan sur ce vif regain de tensions à Taïwan qui marque, décidément, l’actualité mondiale en ce début d’août.

 

Provocation de Washington, fureur de Pékin

Après une brève incursion aérienne, Pékin devrait procéder à des tirs dans le détroit de Taïwan mais les risques d’un véritable conflit sont pour le moment faibles, estiment les observateurs. La visite de la présidente de la Chambre des représentants américaine Nancy Pelosi a amplifié un peu plus les tensions entre la Chine et les Etats-Unis.

Joute verbale

Le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a prévenu dans la matinée que « ceux qui offensent la Chine devront être punis, de façon inéluctable ». « C’est une farce pure et simple. Sous couvert de « démocratie », les États-Unis violent la souveraineté de la Chine », a également déclaré le ministre, en marge d’une réunion de l’Asean (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) à Phnom Penh.

En réaction à cette visite, Pékin a annoncé une série d’exercices militaires dans les environs de l’île et réalisé une brève incursion aérienne. La Chine a également annoncé mercredi suspendre l’importation de certains fruits et poissons de Taïwan, ainsi que l’exportation de sable vers l’île.

La joute verbale continue. La présidente de la Chambre des représentants américaine Nancy Pelosi a affirmé mercredi à Taïwan qu’elle était venue « en paix dans la région », alors que sa visite a déclenché la colère de Pékin qui a annoncé une série d’exercices militaires dans les environs de l’île et réalisé une brève incursion aérienne.

« Nous venons en amis à Taïwan, nous venons en paix dans la région », a déclaré Nancy Pelosi, la plus haute responsable américaine à visiter Taïwan depuis 25 ans, lors d’une rencontre avec le vice-président du Parlement taïwanais Tsai Chi-chang. Pelosi, 82 ans, est arrivée mardi soir à Taipei à bord d’un avion militaire américain.

Manœuvres militaires

Dès l’arrivée de la Speaker de la Chambre des représentants à Taïwan, le ministère chinois des Affaires étrangères a dénoncé « une grave violation » des engagements américains vis-à-vis de la Chine, qui « porte gravement atteinte à la paix et à la stabilité » régionales. Et le gouvernement chinois a convoqué mardi soir l’ambassadeur américain à Pékin, Nicholas Burns.

Le vice-ministre chinois des Affaires étrangères, Xie Feng, lui a exprimé les « protestations fermes » de son pays, ajoutant que « l’initiative est extrêmement choquante et les conséquences seront très graves », a rapporté l’agence Chine Nouvelle. Le ministère chinois de la Défense a quant à lui promis des « actions militaires ciblées », avec une série de manœuvres militaires autour de l’île qui commenceront mercredi, dont « le tir de munitions réelles de longue portée » dans le détroit de Taïwan, qui sépare l’île de la Chine continentale.

Mercredi, Vingt-sept avions militaires chinois sont entrés dans la zone de défense aérienne taïwanaise, selon les autorités de Taïwan. Ces dernières avaient déjà relevé une intervention de ce type mardi, après l’arrivée de Nancy Pelosi sur l’île. La Chine a annoncé des manœuvres militaires à venir, en réaction à la présidente de la Chambre des représentants.

« Jouer avec le feu »

Les autorités taïwanaises ont signalé dans la nuit de mardi à mercredi que 21 avions militaires chinois avaient pénétré dans la zone d’identification de défense aérienne de l’île –une zone bien plus large que son espace aérien. Le ministère taïwanais de la Défense s’est dit « déterminé » à protéger l’île contre toute attaque.

Plusieurs navires américains croisent également dans la région, dont le porte-avions USS Ronald Reagan, selon des sources militaires américaines. La plupart des observateurs jugent faible la probabilité d’un conflit armé. Mais des responsables américains ont dit se préparer à des démonstrations de force de l’armée chinoise.

La Chine estime que Taïwan, avec ses 23 millions d’habitants, est l’une de ses provinces, qu’elle n’a pas encore réussi à rattacher au reste de son territoire depuis la fin de la guerre civile chinoise (1949). Opposé à toute initiative donnant aux autorités taïwanaises une légitimité internationale, Pékin est vent debout contre tout contact officiel entre Taïwan et d’autres pays.

Des responsables américains se rendent régulièrement sur l’île. Mais la Chine juge qu’une visite de Pelosi, troisième personnage de l’Etat américain, est une provocation majeure. La semaine dernière, dans un entretien téléphonique avec son homologue américain Joe Biden, le président chinois Xi Jinping avait déjà appelé les Etats-Unis à ne « pas jouer avec le feu ».

 

Atmosphère de veillée d’armes

Nancy Pelosi, « un ange passe » …

Vers une crise diplomatique majeure entre la Chine et les États-Unis ? Suite à l’arrivée de la présidente de la Chambre des représentants américaine Nancy Pelosi à Taïwan, la Chine a menacé les États-Unis de devoir « payer le prix » de ce déplacement officiel. Une visite qui est en effet source de conflit entre les 3 États, même si « la probabilité d’une guerre ou d’un incident grave est faible », a indiqué Bonnie Glaser, directrice du programme Asie du think tank américain German Marshall Fund.

Les tensions entre Taïwan et la Chine ne datent pas d’hier. Historiquement rattachée à la Chine, l’île située à 180km au large des côtes du sud-est de la Chine était sous pavillon Japonais de 1895 jusqu’à 1945. Suite à la défaite du Japon à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, le Japon remet Taïwan à l’ONU qui en confie la stabilisation à la République de Chine.

Un conflit qui dure depuis 1949

Mais en 1949, à l’issue de la guerre civile chinoise qui oppose les nationalistes aux communistes et voit ces derniers l’emporter, les nationalistes fuient la Chine du nouveau président communiste Mao Zedong. Le leader nationaliste Tchang Kaï-chek se replie à Taïwan en décembre 1949, avec près de 2 millions de continentaux sur l’île où il établit un gouvernement qui les coupe de tout lien avec la Chine. La Chine communiste tente de mettre la main sur Taïwan, mais n’y parvient pas face à un Tchang Kaï-chek qui contrôle l’île d’une main de fer et qui continue de revendiquer l’autorité sur tout le territoire chinois. Une alliance se crée très vite, en 1950, entre Taïwan et les États-Unis lors de la guerre de Corée et les tensions entre la Chine et Taïwan se poursuivent au fil des ans.

Si Taïwan n’a jamais déclaré officiellement son indépendance, l’île a tout de même une indépendance administrative, politique, diplomatique et militaire, mais la république populaire de Chine considère Taïwan comme sa 23e province.

« L’ambigüité stratégique » des États-Unis

En 1979, Washington rompt ses relations diplomatiques avec Taïwan pour reconnaître la République populaire de Chine, mais le Congrès américain fournit des armes à Taïwan pour son autodéfense. Depuis, on parle « d’ambiguïté stratégique » des États-Unis envers Taïwan, car personne ne sait s’ils interviendraient ou non pour défendre l’île en cas d’invasion de la Chine, tout en restant son allié le plus puissant et son premier fournisseur d’armes.

À partir de 1995, le dialogue est complètement rompu entre la Chine et Taïwan mais il reprend en 2008, trois ans après la signature d’une loi anti-sécession qui reconnait l’autonomie de Taïwan mais autorise la Chine d’utiliser des « moyens non-pacifiques » si l’île devenait indépendante. En 2010, un accord-cadre de coopération économique est signé entre la Chine et Taïwan, puis en 2015, les présidents chinois et taïwanais se rencontrent à Singapour, une première depuis 1949.

Une « paix » de courte durée puisque depuis 2016 et l’arrivée au pouvoir à Taïwan de Tsai Ing-Wen, une présidente pro-indépendance, les tensions repartent de plus belle avec un Xi Jinping qui compte bien mettre la main sur Taïwan, à l’heure où Tsai Ing-Wen affirme que Taïwan est « un pays en tant que tel ». De leur côté, les Etats-Unis ont toujours annoncé soutenir Taïwan face à la Chine.

Menaçante, la Chine « montre ses muscles »

Depuis 2020, la Chine multiplie les violations de l’espace aérien de Taïwan et Xi Jinping demande à son armée de « se préparer à la guerre » en octobre 2020. En octobre 2021 et mai 2022, Joe Biden indique que Washington est prêt à défendre militairement Taïwan, ce qui pousse son homologue chinois à lui dire de pas pas « jouer avec le feu » et menace de « conséquences » en cas de venue de Nancy Pelosi à Taïwan, chose faite à ce jour.

Selon Taipei, il y a eu 969 incursions d’avions de guerre chinois dans sa zone aérienne de défense en 2021 et plus de 470 sur la première partie de l’année 2022. Depuis de nombreux mois, les Taïwanais sont donc sous la menace d’une invasion de la Chine, au même titre que les Ukrainiens craignaient une invasion de la Russie, et craignent les démonstrations de force militaire chinoises ainsi que l’envie de Xi Jinping de faire de la réunification sa priorité.

Si Washington s’abstient de dire si les États-Unis défendraient ou non Taïwan en cas d’invasion, Pékin voit cette visite comme « très dangereuse et très provocatrice » et indique qu’elle « affaiblira également la relation entre la Chine et les Etats-Unis », selon les termes de Zhang Jun, ambassadeur chinois aux Nations unies. Si la plupart des observateurs jugent faible la probabilité d’un conflit armé, les responsables américains assurent se préparer à de possibles démonstrations de force de l’armée chinoise, comme des tirs de missiles dans le détroit de Taïwan ou des incursions aériennes massives autour de l’île. Dès l’annonce de la venue de Nancy Pelosi, des « avions de chasse chinois Su-35 » ont « traversé le détroit de Taïwan », qui sépare la Chine continentale de Taïwan, a indiqué la télévision étatique chinoise CGTN.

 

Ukraine, Taïwan… 

Moscou et Pékin main dans la main face aux Américains

La visite de Nancy Pelosi à Taïwan menace de déclencher une crise diplomatique majeure entre la Chine et les États-Unis, d’autant plus que la Russie semble vouloir s’en mêler. Le Kremlin a déclaré mardi qu’un déplacement de la présidente de la Chambre des représentants américaine sur l’île serait une « pure provocation », sans oublier de rappeler la « solidarité absolue » de la Russie avec la Chine.

La tension monte entre les Etats-Unis et la Chine, et Moscou y ajoute donc son grain de sel. Allié de Pékin, la Russie a accusé les Américains de « déstabiliser le monde » en provoquant des tensions autour de Taïwan. Alors que Nancy Pelosi se rend à Taïwan mardi, le Kremlin a rappelé sa « solidarité » avec la Chine. « Au lieu de respecter la sensibilité [de Pékin sur Taïwan], les Etats-Unis choisissent malheureusement la voie de la confrontation, ce qui n’annonce rien de bon », a lancé le porte-parole, Dmitri Peskov.

 

Tensions, réactions, répercussions…

Le Japon « préoccupé »

Le Japon s’est dit mercredi « préoccupé » face aux « actions militaires ciblées » promises par Pékin, dont certaines auront lieu à l’intérieur de la zone économique exclusive (ZEE) japonaise. « La zone maritime annoncée par la Chine pour les exercices militaires qui seront menés à partir du 4 août à midi (5 h à Paris) inclut la ZEE du Japon », a déclaré le porte-parole du gouvernement nippon Hirokazu Matsuno. « La paix et la stabilité dans le détroit de Taïwan sont importantes non seulement pour la sécurité de notre pays, mais aussi pour la stabilité internationale », a jugé Matsuno. « La position constante du Japon a toujours été qu’il attend que les questions relatives à Taïwan soient réglées pacifiquement, par le dialogue ».

Séoul appelle au calme

La Corée du Sud appelle au dialogue pour maintenir la paix et la stabilité dans la région. « La position de notre gouvernement est de maintenir une communication étroite avec les parties concernées […] considérant l’importance de la paix et de la stabilité dans la région par le dialogue et la coopération », a déclaré un responsable du bureau présidentiel à la presse. Nancy Pelosi doit se rendre à Séoul ce mercredi en fin de journée dans le cadre de sa tournée asiatique.

Le G7 cherche une « justification »

Les ministres du G7 ont jugé mercredi à travers un communiqué qu’il n’y avait « aucune justification » pour des manœuvres militaires chinoises à Taïwan. 27 appareils de l’armée chinoise « sont entrés dans la zone environnante (Zone d’identification de défense aérienne, plus large que l’espace aérien) le 3 août 2022 », a déclaré sur Twitter le ministère de la Défense taïwanais.

Sanctions commerciales

Après les exercices militaires autour de l’île, au tour des sanctions commerciales. La Chine suspend ce mercredi l’importation de certains fruits et poissons de Taïwan, ainsi que l’exportation de sable, en réaction à la visite de la présidente de la Chambre des représentants américaine Nancy Pelosi.

Pékin affirme avoir détecté « de façon répétée » un type de cochenille nuisible sur les agrumes et y avoir enregistré des taux excessifs de pesticides. Des emballages contenant deux types de poissons ont également été testés positifs au coronavirus, a-t-elle assuré. De son côté, le ministère du Commerce a annoncé « suspendre l’exportation de sable naturel vers Taïwan » à partir de mercredi, sans donner d’explications.

Les puces électroniques, un enjeu de guerre ?

À Taïwan, la présidente américaine de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a visité une usine de semi-conducteurs. Ces puces électroniques qui sont la base matérielle de l’informatique moderne. L’enjeu est énorme : Taïwan est un géant dans ce domaine. Taïwan produit plus de la moitié des besoins en semi-conducteurs dans le monde, dépassant très largement l’Europe et les États-Unis. À eux deux, ils ne fournissent que 10% des besoins du marché international. Même les voisins asiatiques sont loin derrière la production taïwanaise.

Ces petites puces de silicium sont utilisées absolument partout : dans les ordinateurs, les smartphones et même dans du matériel médical. Alors si une invasion chinoise a lieu, les conséquences pourraient-être très importante. Et ce, « même pour l’économie chinoise » a prévenu le patron de Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), leader mondial du marché. L’usine du monde a besoin de semi-conducteurs, elle qui est très dépendante d’importations dans ce domaine.

Mais cet appel n’a pour le moment pas été entendu par la Chine. En représailles de la visite de Nancy Pelosi, le ministère chinois du Commerce a stoppé ses exportations de sable naturel vers Taïwan. Le sable est un composant essentiel dans la fabrication… des semi-conducteurs.

 

Sur le Web

Le vol de Nancy Pelosi vers Taïwan bat un record sur « Flightradar24 »

L’anecdote démontre tout l’enjeu de la visite de la présidente de la Chambre des représentants américaine. Le vol qui a amené Nancy Pelosi à Taïwan ce mardi a été le plus suivi de l’histoire de Flightradar24. « Au moment où il a atterri à Taipei, (le vol) SPAR19 était observé par plus de 708.000 personnes dans le monde, ce qui en fait le vol le plus suivi en direct de l’histoire de Flightradar24 », a indiqué le service en ligne dans un communiqué.

Après son décollage de Kuala Lumpur (Malaisie), son avion militaire était déjà suivi par plus de 200.000 personnes pendant le survol de l’Indonésie, et ce chiffre « a continué à monter au fur et à mesure que l’appareil se rapprochait de Taïwan », relate le site Web.

Cet « intérêt sans précédent et continu pour ce vol a lourdement pesé sur l’infrastructure de Flightradar24 », continue le service. Ses équipes techniques se sont mobilisées, mais « malheureusement, étant donné le volume d’utilisateurs, il a été nécessaire de mettre en place notre salle d’attente, qui limite le temps d’accès pour les non-abonnés », explique le site. La version normale a été réinstallée peu après l’atterrissage de la femme politique américaine.

Nancy Pelosi est la plus haute responsable américaine élue à se rendre dans la cité-Etat en vingt-cinq ans. Sa visite à Taïwan pourrait envenimer davantage les relations entre la Chine et les Etats-Unis, car Pékin revendique la souveraineté sur l’île. « La visite de notre délégation parlementaire à Taïwan démontre le soutien inconditionnel de l’Amérique à la vibrante démocratie de Taïwan », a-t-elle déclaré dans un communiqué publié peu après son arrivée. De son côté, le ministère chinois des Affaires étrangères a dénoncé « une grave violation » des engagements américains vis-à-vis de la Chine, qui « porte gravement atteinte à la paix et à la stabilité » régionales. Pékin a également annoncé une série d’exercices militaires dans les environs de l’île.

(avec agences et médias)