Le phénomène de la pénurie en médicament ne date pas d’hier mais passait relativement sous silence du fait que le manque en produits était assez limité et surtout remplacé par d’autres remèdes similaires. Cependant l’affaire prit ces derniers mois une ampleur sans précédent avec les étals des pharmacies des hôpitaux, dispensaires voire privées hideusement dégarnies ou totalement vides. On parle de quelques 200 médicaments manquant à l’appel et touchant à toutes les pathologies chroniques et aigues.

Le dilemme des médecins prescripteurs

Qu’ils appartiennent au secteur privé ou public, les praticiens sont confrontés à longueur de journée à un carrousel bien codifié, du papier collé en quelque sorte. Le patient ordonnance en main et après avoir fait le tour de toutes les officines de la place et des patelins avoisinants revient vers le prescripteur pour l’informer que tel ou tel médicament est introuvable ou en rupture selon le jargon des pharmaciens. La plupart des médecins ayant pris le pli ces derniers temps de mentionner devant chaque médicament la précision suivante :  » ou équivalent ». Malheureusement, même ces équivalents ne sont pas disponibles ! Passe pour une maladie aigue pouvant être traitée le cas échéant avec les bons remèdes -maison concoctés par nos grand-mères. Mais quand il s’agit d’une lourde pathologie cardiaque, cancéreuse, métabolique, etc., cela pose problème du moment que le pronostic vital des patients est mis en jeu.

La liste ne fait que s’allonger

Chaque jour, la liste des produits manquants ne fait que s’allonger mettant à mal le corps médical mais surtout les patients ne sachant plus à quel saint se vouer. Lutter contre une diarrhée en pleine canicule avec risque de déshydratation devient une chimère ; Soulager un malade souffrant le martyr suite à une poussée de sa goutte (élévation du taux de l’uricémie) n’est plus dans les cordes. Prescrire le seul antiinflammatoire sans risque pour un ulcéreux n’est plus possible du fait de la disparition des médicaments correspondants. Enumérer toutes les pathologies devenues par la force des choses  » à l’abri » du traitement et rebelles nous prendrait des pages et des pages. A retenir que les médecins se trouvent dans de sales draps avec les mains liées assistant impuissants à la prolifération de la maladie et à la dégradation vertigineuse de la santé de leurs patients.

Le recours au système (D)

Sont exclus de cette rubrique les nantis disposant de comptes bien cossus en devises à l’étranger et qui, au prix d’un voyage éclair dans la journée ou sur un simple coup de téléphone parviennent à faire leurs emplètes de l’étranger (fruits exotiques, denrées alimentaires, médicaments au besoin). Nous parlons de ceux qui ont comme une voisine, la cousine éloignée d’une hôtesse de l’air, le beau-frère du colocataire d’un steward ou le frère d’une des copines d’un commandant de bord. Ils doivent tout d’abord se plier aux contraintes du marché parallèle pour se munir de devises étrangères du côté de la rue Charles De Gaulle, la Hafsia, la Rue Sidi Bou Mendil, etc  avec risque de se faire arnaquer en se procurant de faux billets. Attendre par la suite le bon vouloir de ces intermédiaires pour exhausser leurs pressantes requêtes. Parfois les médicaments arrivent très tardivement, la mort ayant fait son œuvre hélas !

La Pharmacie Centrale lourdement obérée

A l’origine de cette catastrophe médicamenteuse, l’impossibilité de la Pharmacie Centrale de Tunisie ( PCT)à honorer ses engagements auprès des firmes pharmaceutiques étrangères (40% des médicaments commercialisés en Tunisie) avec un déficit de l’ordre de 700 milliards. Ces dernières, constatant que l’ardoise devenait de plus en plus lourde, ont changé d’attitude avec notre organisme (PCT): Toute commande doit être payée désormais à l’avance rubis sur l’ongle avant sa livraison. La Pharmacie Centrale elle-même lourdement engagée avec les trois casses (CNAM, CNRPS et CNSS) et hôpitaux qui n’arrivent plus à honorer leurs faramineuses dettes à son égard. Un cercle vicieux en somme et seule l’intervention de l’état pour renflouer les caisses de la Pharmacie Centrale est en mesure de débloquer la situation. Mais au vu de précarité et du marasme économiques accablant les rouages du pays, pareille approche nous parait difficile à réaliser pour l’heure. Ne pas oublier la matière première importée pour la fabrication locale des médicaments (60%) qui a vu son cout s’envoler suite à l’effondrement du Dinar et de la guerre en Ukraine.

La contre bande enfonce le clou

Autre raison expliquant cette pénurie, la contre bande sévissant en toute tranquillité à nos frontières mettant à profit la puissance de certains barons du secteur intouchable et bénéficiant de complicités et de protection à divers niveaux. Des milliers de boites de médicaments de toutes sortes s’acheminent régulièrement par le truchement d’un circuit bien huilé vers les pays limitrophes où elles sont commercialisées au prix fort. Les journaux nous édifiant au quotidien des prouesses louables de nos douaniers et autres agents de la Garde Nationale assaisonnant des convois de contrebandiers aux confins de nos frontières. Mais le trafic est tellement fourni, vaste avec des moyens constamment renouvelés, des astuces sans cesse remises à jour, des itinéraires de plus en plus dangereux à suivre que fatalement ces malfrats parviennent à tromper la vigilance de nos vaillantes forces de l’ordre.  Un commerce allant dans les deux sens car en retour, les stupéfiants, la drogue envahissent notre panorama de façon alarmante. Des milliers de comprimés prohibés sont détectés quotidiennement dans nos aéroports et ports en provenance de l’Europe.
Mohamed Sahbi RAMMAH