Selon plusieurs juristes et observateurs, dont le professeur Slim Loghmani : « un recul des droits des femmes devient-il possible avec ce projet de Constitution qui institue, sans conteste ni ambigüité aucune, un Etat religieux ». L’article 5 de la nouvelle constitution fait notamment de l’Etat « le garant des droits acquis des femmes qu’il s’engage à protéger, conserver et améliorer » serait-il appliqué avec prudence et en tenant compte de l’appartenance de la Tunisie à la « Oumma islamique » ? Sur cette base il pourrait limiter les droits de la femme à la libre circulation par exemple, comme font d’autres pays de la Oumma islamique, en imposant que la femme doive être accompagnée dans ses déplacements et voyages par un protecteur « Mohrem ». Bien entendu, ce sont-là des spéculations.
Et, entre autres spéculations, Selon le CSP, concernant l’IVG (interruption volontaire de la grossesse), elle est permise pour la femme mariée enceinte de trois mois, car au-delà de cette période, cela constitue scientifiquement un danger pour sa santé. Selon les finalités de l’Islam par contre, l’IVG est strictement interdite. Un époux en difficulté avec sa femme peut intenter une action en divorce aux torts de son épouse après qu’elle ait pratiqué une IVG, en se réclamant des principes de la nouvelle constitution dans son article 5, et obtenir gain de cause.
Contribution des époux aux charges du ménage et droit à l’héritage
Par ailleurs le droit à la pension alimentaire est selon le CSP, à la charge du mari, bien les deux époux soient tenus de participer conjointement aux besoins du ménage. Cependant, avec l’évolution actuelle du statut de la femme, et dans des cas où l’épouse est en meilleure situation financière que son mari, elle peut également prendre en charge cette obligation qui est octroyée aux enfants essentiellement à titre d’aliment. Une jurisprudence dans ce sens a été prononcée par le juge en Tunisie en 2017, en application de l’article 23 du CSP dans lequel il est stipulé : « la femme doit contribuer aux charges de la famille si elle a des ressources ». Le magistrat s’est par ailleurs basé sur des conventions internationales ratifiées par la Tunisie. Ces conventions reconnaissent le principe d’égalité entre l’homme et la femme et imposent la participation de la femme dans la prise en charge des enfants ». Ce verdict s’est fondé sur le principe d’équité et de la parité homme / femme. Or selon les lois charaïques ce sont les époux qui sont tenus de prendre en charge leurs épouses et c’est la raison pour laquelle elles leur doivent obéissance.
Quant au droit à l’héritage, le code du statut personnel a respecté à la lettre les lois de l’Islam, qui accordent à la femme la moitié de ce qu’hérite l’homme. Or plusieurs organisations féministes et des droits de l’Homme, ne cessent d’appeler à la révision de cet article, afin d’assurer l’égalité de genre dans l’héritage. Cependant et bien avant qu’intervienne le projet de la nouvelle Constitution, Kaïs Saied est contre ce principe, en affirmant que le texte coranique est bien clair et cela n’a rien à voir avec l’égalité de genre. L’article 5 de la nouvelle Constitution ne peut que corroborer sa position en la matière.
Mariage mixte et apostasie
Il y a également le problème récurrent du mariage de la femme musulmane avec un non-musulman, interdit par les lois de l’Islam et que l’article 5 de la nouvelle constitution ne peut que remettre sur le tapis. Selon la circulaire de 1973, l’union d’une Tunisienne musulmane avec un étranger non musulman ne pouvait donc se faire que si le mari se convertissait à l’islam. Pour cela, il devait se présenter devant le mufti de la République pour annoncer sa conversion, une conversion formelle qui ne servait généralement qu’à faciliter les procédures de ce genre de mariage. Or, bien que cette circulaire ait été abrogée, certains maires tiennent encore à son application. Le maire du Kram Fathy Laâyouni, avocat ultraconservateur et membre d’Ennahdha avait donné des instructions pour interdire tout mariage d’une Tunisienne musulmane avec un non-musulman qui n’aurait pas présenté la preuve de sa conversion à l’Islam.
Raison de plus pour qu’en vertu de l’article 5 de la nouvelle Constitution, un maire s’oppose catégoriquement à un mariage dans lequel, le mari non-musulman ne s’est pas converti car cela fait partie des « finalités de l’Islam » et surtout des pratiques au sein de la Oumma. C’est que les finalités de l’Islam peuvent être interprétées d’une manière restrictive par les extrémistes et cela peut aller jusqu’à considérer la femme comme apostate (Murtadda) au cas où elle épouse un non-musulman.
Arrêt Houria : L’apostasie rattachée à la volonté déclarée et non au mariage mixte
Dans l’arrêt Houria, datant de 1966 et qui a suscité l’intérêt des juristes tunisiens, la Cour de cassation a considéré que si le mariage d’une Tunisienne musulmane avec un non-musulman est juridiquement nul, il n’en reste pas moins qu’il ne fait pas présumer l’apostasie, celle-ci suppose que l’intéressé ait fait part de sa volonté de se soustraire aux principes de la religion musulmane. Cet arrêt a été considéré à l’époque comme progressiste, par rapport à cette définition qu’il donne du mariage mixte. S’il déclare que celui-ci est nul c’est à cause de la loi positive de l’époque qui l’interdit et non eu égard aux lois de l’Islam. Il fait donc la part des choses entre celles-ci et le droit positif sur la base de l’autonomie de la volonté. Il est même progressiste par rapport à l’article 5 de la nouvelle Constitution.
Au final on ne peut que s’inquiéter sur les acquis de la femme depuis la promulgation du CSP en 1956, par crainte d’une fausse interprétation de la finalité de l’Islam pouvant constituer une régression certaine de ses droits. Dans une étude sur la question Me Monia Ben Jemia, juriste spécialisée en droit de la femme et de la famille et faisant part de ses craintes à ce sujet, affirme qu’il y a dans l’article 5 de la nouvelle Constitution « un danger de recul assurément, car chaque fois que notre appartenance à la communauté arabe et musulmane a été évoquée, notamment par le juge judiciaire, ça n’a jamais été au profit des femmes et de leurs droits à l’égalité dans le mariage et la famille ».
Ahmed NEMLAGHI