A la suite des explosions dans un dépôt de munitions en Crimée, Kiev, Moscou et les experts livrent chacun leur version des faits. Les explosions sur un aérodrome militaire dans la péninsule de Crimée, annexée en 2014 par la Russie, ont été présentées par Moscou comme dues à un accident, mais les experts et des images satellites semblent révéler le résultat d’une attaque ukrainienne. Que s’est-il vraiment passé mardi en Crimée ? Que disent Moscou et Kiev ? Que disent les experts ? Et pourquoi la Crimée est-elle une cible stratégique ? Focus sur ce nouvel épisode majeur de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, alors que depuis le début de la semaine chaque partie livre sa petite version des faits.
Mardi, des explosions ont fait un mort et des blessés dans un dépôt de munitions sur le site d’un aérodrome militaire de la péninsule ukrainienne de Crimée. Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montraient une boule de feu se former après une forte déflagration, tandis que d’épaisses volutes de fumée noire s’élevaient dans le ciel. Interrogé sur le sujet, le ministre britannique de la Défense a affirmé ne pas avoir de commentaires sur l’incident en question mais a rappelé le droit de l’Ukraine de défendre son territoire. « Si c’était une attaque de l’Ukraine, elle serait légitime, elle serait conforme au droit international », a dit Ben Wallace.
Versions contradictoires
Depuis mardi, la Russie assure qu’aucune frappe ou bombardement n’ont visé une base militaire située près du village de Novofedorovka, et que les déflagrations, qui ont fait au moins un mort et sept blessés, sont dues à l’explosion de munitions destinées à l’aviation. Reste que les explosions en Crimée ont provoqué un vent de panique parmi les touristes, la péninsule étant une destination estivale majeure pour les Russes, appréciée pour ses plages et ses montagnes. Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux mardi ont montré le pont du détroit de Kertch, construit à grands frais par Moscou pour relier la Crimée à la Russie continentale, pris d’assaut par les voitures voulant partir.
Sur d’autres images, on peut voir des centaines de touristes fuyant sur une plage, tandis que de larges nuages de fumée apparaissent à l’horizon. Le chef de l’administration prorusse de la Crimée, Sergueï Aksionov, a tenté de rassurer les visiteurs dans un message vidéo en assurant que « toutes les mesures nécessaires ont été renforcées pour assurer la sécurité des infrastructures civiles et de la population ».
Pendant ce temps, que disent les experts ? Des images satellites diffusées ce jeudi par Maxar Technologies semblent toutefois contredire cette version. Celles-ci montrent que l’aérodrome « a été touché par quelque chose » et qu’au moins neuf avions ont été détruits, a affirmé ce jeudi à l’AFP Oliver Alexander. « Si c’était un accident, il aurait fallu quatre ou cinq personnes jetant leur cigarette au même endroit ou frappant les bombes avec un marteau, c’est très peu probable », a ajouté l’analyste danois. La cause exacte des explosions – une opération de sabotage ou une frappe de missile ukrainien – reste cependant inconnue, a encore précisé l’expert.
Eliot Higgins, fondateur du groupe de journalisme d’investigation Bellingcat, souligne que les images montrent trois cratères et « un incendie massif à travers la base ». « On peut interpréter ces cratères comme le résultat de frappes précises avec une arme à longue portée », écrit-il sur Twitter. Et de poursuivre : « A ma connaissance, la Russie n’a jamais perdu autant d’équipements aériens en une seule journée et ils doivent être profondément préoccupés par la capacité de l’Ukraine à faire des frappes similaires ailleurs, en particulier sur le pont du détroit de Kertch », construit à grands frais par Moscou pour relier la Crimée à la Russie continentale.
Une base arrière logistique
Des responsables anonymes ukrainiens cités par le New York Times et le Washington Post ont reconnu que l’Ukraine était à l’origine des explosions. Officiellement, Kiev n’a pas revendiqué l’attaque, préférant ironiser. Le ministre de la Défense Oleksiï Reznikov a ainsi plaisanté en suggérant que les explosions pourraient être dues à des cigarettes mal éteintes : « Je pense que les militaires russes dans cet aérodrome ont oublié une règle très simple : ne fumez pas dans des endroits dangereux. C’est tout », a-t-il lâché mercredi.
Le conseiller de la présidence Mykhaïlo Podoliak a ironisé sur « l’épidémie d’accidents techniques sur les aérodromes militaires » russes. Il a affirmé que les explosions devraient être « considérées par les militaires russes comme un avertissement ». La veille, il avait assuré qu’elles n’étaient « que le début ». Le président Volodymyr Zelensky a de son côté simplement dit dans son discours du soir après les explosions : « la Crimée est ukrainienne » et Kiev « ne l’abandonnera jamais ». Enfin, de son côté, le ministère ukrainien de la Défense a tout simplement rappelé sur Twitter « que la présence de forces d’occupation sur le territoire de la Crimée ukrainienne n’est pas compatible avec la haute saison touristique ».
La Russie a annexé unilatéralement la Crimée en mars 2014 après une intervention de ses forces spéciales sur la péninsule ukrainienne, qui ont rapidement pris le contrôle des bâtiments administratifs et encerclé les bases ukrainiennes. Les nouvelles autorités prorusses installées par Moscou ont ensuite organisé un référendum de rattachement à la Russie dénoncé comme illégal par Kiev et les Occidentaux, provoquant une première vague de sanctions.
Depuis l’invasion de l’Ukraine le 24 février, la Crimée est en première ligne de l’offensive militaire que mène la Russie contre son voisin ukrainien. Elle sert de base arrière logistique aux forces russes. Des avions de Moscou y décollent quasi quotidiennement pour frapper des cibles dans des régions sous le contrôle de Kiev et plusieurs zones de cette presqu’île sont situées dans le rayon d’action des canons et des drones ukrainiens. L’offensive sur le sud de l’Ukraine qui a permis à Moscou de capturer de larges pans de territoire aux premières semaines de la guerre est partie de là. Si elle a rarement été visée, une précédente attaque au drone avait frappé le 31 juillet le QG de la flotte russe de la mer Noire à Sébastopol, selon Moscou.
(avec agences et médias)