Après la fin des restrictions de déplacements liées à la crise sanitaire, l’activité touristique a repris en Tunisie. Au fil des mois, la fréquentation des hôtels retrouve des couleurs. La relance ne s’est ressentie qu’à partir de juillet avec les vacances. Malgré d’importantes disparités, la plupart des régions et professionnels du tourisme reconnaissent un bon cru durant la saison estivale. Août tient ses promesses mais tout se joue sur l’arrière saison. La forte demande a fait grimper les prix des hôtels et du transport aérien. On attendait une clientèle de dernière minute qui n’est finalement pas venue en raison de tensions sur le pouvoir d’achat. L’arrière saison s’annonce bonne et pourrait prolonger encore la saison. Les explications de Dora Milad, présidente de la Fédération tunisienne de l’hôtellerie (FTH).
Le Temps News : Le mois d’août n’est pas encore terminé, mais pouvez-vous d’ores et déjà nous dresser un premier bilan de la saison estivale ?
Dora Milad : Pour le moment, nous ne pouvons analyser que les chiffres communiqués par l’ONTT et qui concernent le mois de juillet. Le nombre de nuitées a légèrement dépassé les 3 millions, ce qui dénote une nette amélioration par rapport au peu d’activité enregistré l’année dernière, dû aux restrictions d’entrée au pays, quand nous avons enregistré un peu plus d’un million de nuitées mais par rapport à 2O19 et ses 5 M de nuitées en juillet, nous sommes encore en baisse de 38% en moyenne, au niveau national.
Il faut préciser, par ailleurs, qu’il y a une forte disparité régionale entre des zones par exemple comme Bizerte ou Sfax qui s’en sortent un peu mieux avec des régressions respectives de -11 et -17% alors que Monastir et Tozeur accusent encore un déficit de près de 50% par rapport à juillet 2019. Sur les 7 premiers mois de l’année 2022, l’occupation des hôtels tunisiens s’est chiffrée à 8,6 millions de nuitées par rapport à 15,5 millions de nuitées en 2019, soit une diminution de 45%. Donc, comme vous pouvez le constater, c’est une saison de reprise, après deux années de crise jamais connue auparavant.
Quels sont les marchés qui ont émergé du lot ?
Après l’arrêt d’activité de la crise Covid et le retour des marchés classiques de la Tunisie, on peut tout de même noter une évolution de la structuration de la demande et de la place relative des pays émetteurs. Des marchés importants comme la Russie et l’Algérie ont pratiquement disparu, les marchés allemand et britannique ont subi le contrecoup de la faillite du géant du tour-operating Thomas Cook et reprennent plus timidement que dans d’autres destinations concurrentes.
D’autres marchés, relativement moins importants en valeur, ont enregistré proportionnellement une belle progression comme la Pologne et le Luxembourg. L’Italie s’intéresse de nouveau à notre destination et commence à rouvrir des hôtels-clubs et le Portugal a parié aussi sur la Tunisie en risquant la mise en place de vols. La répartition des nuitées entre marchés européen, maghrébin et résident a évolué comme telle : la part de l’Europe est passée entre 2019 et 2022 de 68% à 51%, celle du Maghreb de 11 à 8% et celle du marché intérieur de 18 à 36% (juillet 2019/juillet 2022).
Ne pensez-vous pas que la qualité des prestations a beaucoup chuté ?
Il est clair qu’après 10 ans années marquées par de nombreuses crises, les entreprises du secteur sont à bout de souffle et que vu le manque de stratégie sectorielle réaliste et de volonté politique pour non seulement préserver mais aussi booster notre tourisme, exposé à une concurrence croissante d’autres destinations qui, elles, ont investi et renforcé leur capacité hôtelière, un certain nombre d’entre elles n’arrivent plus à offrir les prestations au niveau souhaité.
Trois facteurs principaux sont à l’origine de cette baisse des scores de satisfaction : tout d’abord, le manque de ressources humaines qui ont quitté le secteur au fur et à mesure de l’aggravation de la précarité de l’emploi dû aux crises consécutives, les retraités n’ont pas été remplacés et une forte demande extérieure de notre main d’œuvre qualifiée candidate à l’émigration ajoute actuellement des défis supplémentaires à la rareté des profils recherchés. Ensuite, se pose le problème de la formation des nouveaux collaborateurs recrutés, souvent nouveaux entrants dans le secteur et non ou peu qualifiés. La FTH est très impliquée actuellement avec la coopération internationale, SwissContact et la GIZ notamment, pour établir un partenariat public-privé et mettre en place des formations courtes pour les recrues et pour des tuteurs en entreprise dans le cadre de la formation en alternance, afin de faire face à ces besoins et anticiper cette tendance pour les prochaines saisons. Et enfin, troisième facteur essentiel, le manque de moyens financiers après une chute terrible du chiffre d’affaires, ce qui n’a pas permis à de nombreux hôtels d’investir depuis 2 ou 3 ans dans l’entretien des infrastructures et le renouvellement du matériel d’équipement.
Et l’aérien ?
La faiblesse des capacités aériennes mises à la disposition de notre destination reste un des grands handicaps à l’accessibilité et l’attractivité de notre produit touristique. D’une part, les flottes aériennes de nos compagnies nationales sont très limitées par rapport à notre capacité d’hébergement et d’autre part, la non signature de l’open sky n’encourage pas l’arrivée des transporteurs low cost. Le déséquilibre entre l’offre et la demande a entraîné, comme vous l’avez certainement constaté, une flambée du prix des billets qui a desservi la compétitivité de notre destination par rapport à la concurrence.
Nous restons donc encore tributaires des vols charters des compagnies étrangères ou des TO, qui dans le contexte actuel, et vu le peu de visibilité, n’ont pas encore pris beaucoup de risques sur la Tunisie. Nous espérons que vu le retour de la demande qui se confirme cette saison, plus de vols seront programmés en 2023 mais cela ne résoudra pas la faiblesse structurelle de l’offre aérienne sur notre pays
Est-il possible de se projeter sur l’automne et septembre qui arrivent dans quelques jours ?
D’après les informations qui nous parviennent, les réservations pour le mois de septembre sont plutôt d’un bon niveau mais pour octobre, nous n’avons pas encore de visibilité puisqu’on observe, cette année, une tendance à réserver à la dernière minute même sur les marchés européens. Néanmoins, de nouveau, cette année, beaucoup d’hôtels risquent de fermer fin octobre pour ne rouvrir qu’au printemps 2023. Un des grands défis à relever les prochaines années sera de convaincre de nouveau que passer l’hiver au chaud en Tunisie permet aussi de vivre des expériences variées et enrichissantes comme ce fut le cas au début du siècle dernier où la Tunisie était réputée comme destination d’hiver.
Propos recueillis par Kamel BOUAOUINA