Les fiançailles du prince héritier Hussein de Jordanie et de la Saoudienne Rajwa al-Saif peuvent contribuer à apaiser les tensions entre les royaumes voisins, selon des analystes, et donner un « nouvel élan » aux relations entre Amman et Riyad, même s’il est peu probable qu’elles permettent de régler définitivement les différends, estiment d’autres. La cérémonie de fiançailles a eu lieu récemment chez Rajwa al-Saif à Riyad, en présence de plusieurs membres de la famille de la future mariée, ainsi que du roi Abdallah II de Jordanie, de la reine Rania et d’autres membres de la famille royale jordanienne. Focus.
Âgée de 28 ans, Rajwa al-Saif pourrait devenir la première reine de Jordanie d’origine saoudienne. Née à Riyad, où elle a également grandi, elle a poursuivi des études supérieures à l’école d’architecture de l’université de Syracuse à New York, selon les informations relayées par la presse jordanienne. Le prince héritier Hussein, également âgé de 28 ans, a étudié à l’université de Georgetown à Washington. Après l’annonce des fiançailles, le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed Ben Salmane (MBS), a appelé son homologue jordanien pour féliciter le couple et lui souhaiter du succès et une vie heureuse, ont rapporté des médias saoudiens.
Les fiançailles du prince héritier jordanien et de Rajwa al-Saif donnent un « nouvel élan » à la poursuite du développement des relations jordano-saoudiennes, affirme Khaled Shneikat, président de la Société jordanienne de sciences politiques. « Les jours à venir nous montreront s’il y a des résultats, mais dans un premier temps, un mariage de ce type aura un impact sur le renforcement des relations entre les deux pays et l’intensification de leur rapprochement », souligne-t-il.
Un « complot de coup d’État »
D’après Middleeasteye, ces fiançailles royales interviennent dans un contexte de dégel des relations entre l’Arabie saoudite et la Jordanie, après des années de tensions dues en grande partie à des divergences d’opinion sur les conflits régionaux, à des luttes concernant la garde jordanienne des lieux saints de Jérusalem et à des liens présumés entre l’Arabie saoudite et une tentative de coup d’État qui a failli déstabiliser la Jordanie l’an dernier.
Avant le sommet de Djeddah de juillet dernier, le roi Abdallah II, accompagné du prince héritier Hussein, n’avait effectué qu’une seule visite officielle en Arabie saoudite, en 2021, depuis sa dernière visite en octobre 2019. Un mois avant le sommet, MBS s’est rendu en Jordanie pour la première fois depuis plus de cinq ans, où il a exprimé sa volonté de renforcer les relations entre les deux pays. Le roi Abdallah II a remis une médaille au prince héritier saoudien pour souligner les liens « profondément enracinés » entre les royaumes voisins, selon les médias jordaniens.
Les liens entre l’Arabie saoudite et la Jordanie, historiquement proches alliés, se sont disloqués au cours du mandat de l’ancien président américain Donald Trump : les relations étroites de Riyad avec Washington étaient considérées comme néfastes pour le rôle de la Jordanie dans la région. Le fond a été touché en avril 2021, lorsque les autorités jordaniennes ont découvert un prétendu complot de coup d’État mené par le prince Hamza ben Hussein, demi-frère du roi Abdallah II et ancien prince héritier. Des arrestations à grande échelle ont eu lieu. La police a notamment arrêté Bassem Awadallah, ancien chef de la cour royale de Jordanie et conseiller de Mohammed ben Salmane.
Selon une source proche des enquêtes, Bassem Awadallah a été arrêté après que les services de renseignement jordaniens ont intercepté et déchiffré des messages vocaux et SMS échangés entre lui et MBS. Les deux hommes cherchaient le meilleur moyen de se servir de la contestation populaire croissante en Jordanie, attisée par l’économie chancelante du royaume et la pandémie de covid-19, afin de déstabiliser le règne du roi Abdallah II. L’Arabie saoudite a démenti tout lien avec le royaume et est allée jusqu’à envoyer une délégation officielle à Amman pour dissiper les soupçons.
Un rapprochement prudent
Les tensions seraient retombées depuis et les deux voisins ont entamé un rapprochement ces derniers mois. Selon Raed Omari, journaliste et analyste politique, la Jordanie a besoin de relations stratégiques avec le royaume saoudien, riche en pétrole, dans le cadre d’une coopération économique et sécuritaire de plus en plus importante alors que le pays est aux prises avec l’inflation et un chômage généralisé, ainsi que pour contrer les intermédiaires de l’Iran qui seraient impliqués dans le trafic de drogue à la frontière syro-jordanienne. « Le mariage du prince avec une ressortissante saoudienne contribuera grandement à améliorer les relations jordano-saoudiennes », affirme l’analyste.
Les Saoudiens sont les plus gros investisseurs en Jordanie, avec 14 milliards de dollars d’investissements dans quelque 900 projets à travers le pays, selon des informations communiquées par la Saudi Press Agency en marge de la visite de MBS en Jordanie en juin. Environ 430 000 Jordaniens travaillent en Arabie saoudite et envoient des millions de dollars au pays, selon les chiffres officiels. Au cours des quatre premiers mois de 2022, le montant des fonds transférés à Amman a atteint 1,1 milliard de dollars, soit une hausse de 1,5 % par rapport à la même période en 2021.
« L’Arabie saoudite constitue une protection économique pour les Jordaniens, en particulier pour ceux qui y travaillent », souligne Badir Madi, professeur de sciences politiques à l’Université germano-jordanienne (GJU). « Les fiançailles reçoivent un accueil favorable de la majeure partie de la population. Les Jordaniens ont besoin de bonnes relations avec l’Arabie saoudite. », indique-t-il. La coopération avec l’Arabie saoudite est « obligatoire », soutient pour sa part Amer Sabaileh, analyste politique. « C’est ce que dit la géographie, c’est ce que dit l’histoire. Le Sud de la Jordanie, sur le plan social et culturel, est très similaire au mode de vie saoudien. La Jordanie et l’Arabie saoudite ne peuvent être rivales. »
Selon un sondage d’opinion réalisé en mai dernier, les Jordaniens considèrent l’Arabie saoudite comme le pays arabe « le plus favorable » à la Jordanie et le pays avec lequel les Jordaniens préféreraient le plus coopérer s’ils en avaient la possibilité.
Une reine arabe
Les fiançailles du prince héritier jordanien interviennent un mois après celles de sa sœur, la princesse Iman, avec l’homme d’affaires vénézuélien d’origine grecque Jameel « Jimmy » Alexander Thermiotis. Les fiançailles de la princesse Iman –les premières parmi les quatre enfants du roi Abdallah II– ont suscité la désapprobation de nombreux Jordaniens, puisque le fiancé en question n’est pas arabe et ne serait pas musulman. Les mariages avec des non-Jordaniens au sein de la famille royale font grincer des dents chez certains dans le pays.
La reine Rania, l’épouse du roi Abdallah II, est fréquemment la cible de critiques en Jordanie, souvent fondées sur ses origines palestiniennes. Les fiançailles de la princesse Iman ont été « vraiment surprenantes et ont énervé le peuple, dans une certaine mesure », indique un Jordanien préférant conserver l’anonymat. Il précise toutefois que les récentes fiançailles du prince Hussein ont « calmé le peuple jordanien ». « Nous étions si heureux de voir qu’il ne suivait pas les pas de sa sœur. »
Les Hachémites se définissent comme les descendants directs du prophète Mohammed, chose essentielle pour la légitimité de la famille royale à la tête de la Jordanie. D’après les médias jordaniens, les origines familiales de la fiancée du prince Hussein remontent à la tribu des Subai, qui sont les cheikhs de la ville d’al-Attar, dans la région de Soudayr, dans le Najd (région historique du centre de l’Arabie saoudite), depuis le règne du premier roi d’Arabie saoudite Abdelaziz ibn Saoud. C’est également de la région de Soudayr que provenait Hassa al-Soudayri, l’une des épouses du roi Abdelaziz, mère des « sept Soudayri » – une puissante alliance de sept fils d’Abdelaziz, dont l’ancien roi Fahd et l’actuel monarque Salmane.
Les Jordaniens et les Saoudiens partagent de nombreuses valeurs et traditions communes « dans presque tous les domaines », explique Khaled Shneikat, qui met l’accent sur les « sociétés conservatrices » des deux royaumes, qui se reflètent notamment dans les tenues de la future mariée. « Les Jordaniens sont si heureux de voir qu’elle est modeste, ils sont vraiment heureux de voir que cette future reine leur ressemble », surenchérit Badir Madi. « Les récentes fiançailles ont été très positives pour le prince et la famille royale. »
« Une nouvelle phase »
Les fiançailles du prince Hussein « préparent une nouvelle phase », soutient Amer Sabaileh, qui relève par ailleurs que le prince héritier participe davantage aux affaires intérieures et étrangères du pays. Il souligne toutefois qu’à l’heure actuelle, ces fiançailles n’ont pas de « signification politique réelle » et ne peuvent être considérées comme un « véritable rapprochement » entre les royaumes. Si l’union à venir « vise manifestement à montrer qu’il n’y a pas de problème entre les deux pays », l’analyste concède que « la Jordanie et l’Arabie saoudite n’entretiennent toujours pas de relations stratégiques. »
Compte tenu des projets de modernisation ambitieux de MBS et de sa vigueur retrouvée à l’échelle régionale, notamment à travers des mesures semblant tendre vers une coopération avec Israël, Amer Sabaileh souligne que la Jordanie est désormais confrontée à une « structure saoudienne totalement différente de la structure historique à laquelle elle était habituée ».
Ainsi laissée de côté, et préoccupée par ses problèmes intérieurs, la Jordanie se contente de « servir la vision saoudienne » plutôt que de jouir d’une alliance stratégique, poursuit Amer Sabaileh. « La Jordanie doit réfléchir sérieusement aux moyens de renforcer ses attributs diplomatiques et politiques afin de continuer de faire partie de cette région en développement, faute de quoi ses partenaires n’y verront jamais un partenaire stratégique », ajoute-t-il.
De son côté, Badir Madi fonde ses espoirs sur « un futur alignement entre le prince jordanien et Mohammed ben Salmane. Ces fiançailles seront une réelle ouverture pour la relation entre les deux dirigeants et les deux peuples ». « Notre prince et MBS auront beaucoup de choses en commun à l’avenir », conclut-il.
(avec agences et médias)