Alors que le Liban est touché par une crise politique et économique sans précédent, les citoyens sont nombreux à vouloir retirer leurs économies dans les banques. Comme les comptes sont gelés depuis trois ans, des Libanais se mettent à braquer leur banque pour obtenir leur argent. Pas moins de cinq braquages ont eu lieu sur la même journée de vendredi à Ghaziyeh, Ramlet el-Baïda et Beyrouth notamment. Le quotidien libanais L’Orient-Le Jour recense d’ailleurs en temps réel les différents braquages de banque dans le pays, alors que de nombreux épargnants sont désespérés face à l’impossibilité de retirer leurs économies bloquées depuis trois ans dans ce pays ravagé par une crise économique inédite.
Depuis 2019, le Liban est plongé dans une profonde crise économique imputée par une grande partie de la population à la mauvaise gestion, la corruption, la négligence et l’inertie d’une classe dirigeante en place depuis des décennies. La crise s’est caractérisée par des restrictions bancaires draconiennes empêchant les épargnants d’avoir librement accès à leur argent, tandis que la monnaie locale a perdu plus de 90% de sa valeur par rapport au dollar sur le marché noir.
Effet boule de neige
Le phénomène s’accélère depuis la mi-août avec des braquages quasiment quotidiens. La monnaie locale a perdu plus de 90% de sa valeur par rapport au dollar, suscitant une inquiétude encore plus forte de la population qui met en cause la mauvaise gestion, la corruption et l’inertie de la classe politique actuelle. Toute la journée vendredi, le Liban a vibré au rythme des nouvelles et des rumeurs successives sur des braquages de banques. Jusque tard dans la journée, les forces de l’ordre parlementaient avec des preneurs d’otages dans quatre établissements principalement, dont la Lebanon & Gulf Bank à Ramlet el-Bayda, rapporte Ici Beyrouth.
Certains épargnants médiatisent même leur action comme Sali Hafiz qui s’est rendue dans sa banque mercredi, arme en poing, pour récupérer les 20.000 dollars sur son compte. Elle a expliqué, dans une vidéo tournée en direct lors du braquage et publiée sur les réseaux sociaux, devoir payer les frais d’hospitalisation pour sa sœur atteinte d’un cancer. La jeune femme avait également convié quelques journalistes pour assister au braquage, dont nos confrères de Libération. Ce braquage mené par la jeune Libanaise prenant d’assaut une banque de Beyrouth pour récupérer ses économies bloquées afin de payer les frais d’hospitalisation de sa sœur atteinte d’un cancer, a eu un effet de boule de neige. Ce même jour, un homme a braqué une autre banque dans la localité d’Aley, au nord-est de la capitale.
Vendredi, au moins cinq autres braquages ont été recensés, dont deux à Beyrouth et un dans le sud du pays. Les hold-ups ont commencé le matin. La première banque ciblée a été la Byblos Bank à Ghaziyeh, au Liban-Sud. Un déposant de la famille Korkomaz et son fils, tous deux armés de revolvers, ont obtenu par la force 19.200 dollars après une brève prise d’otages et des menaces de s’immoler par le feu. Ils se sont ensuite rendus aux forces de l’ordre. « Ils ont vidé un bidon d’essence sur le sol, semant la panique dans la banque », rapporte l’AFP citant un gardien de sécurité qui n’a pas voulu révéler son nom.
Deux heures plus tard, c’est au tour de la branche de la Blom Bank à Tarik-el-Jdidé à Beyrouth, d’être prise d’assaut également par un déposant armé, qui exigeait d’avoir toute son épargne. Selon les médias locaux, il s’agit d’un commerçant endetté qui réclame le retrait de ses économies gelées et ne serait pas armé. Trois kilomètres plus loin, dans le quartier de Ramlet al-Bayda, un homme armé d’un fusil de chasse a pris d’assaut une succursale de la Lebanon & Gulf Bank, ont affirmé des habitants à un photographe de l’AFP sur place. Le mois dernier, un épargnant a été acclamé par la foule après avoir fait irruption dans une banque à Beyrouth, réclamant, fusil à la main, ses plus de 200.000 euros d’économies, pour payer les frais d’hospitalisation de son père. La banque avait fini par lui donner près de 30.000 euros et il s’était rendu aux autorités. Il n’a pas été poursuivi.
« Le compte à rebours a commencé »
Face à ce chaos, l’Association des banques au Liban (ABL), qui a tenu une réunion extraordinaire en fin de matinée, a annoncé une fermeture de tous les établissements bancaires les lundi, mardi, et mercredi prochains, pendant que la banque Byblos annonçait la fermeture, jusqu’à nouvel ordre, de l’ensemble de ses branches au Liban-sud, « afin de préserver la sécurité de ses employés ». Parallèlement, le ministre sortant de l’Intérieur a présidé deux réunions extraordinaires de sécurité dans son bureau, « pour prendre les mesures sécuritaires nécessaires ». De son côté, la principale association des épargnants libanais a exprimé, en revanche, son soutien aux auteurs de ces braquages, affirmant qu’ils font face à « l’injustice et à l’oppression ».
Par ailleurs, le groupe d’activistes « Mouttahidoun » mène depuis plus de dix jours une campagne contre les banques. Mouttahidoun qui avait accompagné la procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, dans ses incursions rocambolesques de la société Mecattaf en 2021, et soutenu ses campagnes acharnées contre les banques, avait annoncé sur sa page Facebook le lancement d’une opération visant, « au Liban et à l’étranger, les établissements bancaires libanais et leurs PDG ». Depuis quelques jours, la même page multipliait les provocations contre les banques. Celles-ci étaient accompagnées littéralement d’incitations au meurtre et au désordre, ce qui s’est effectivement traduit par les braquages armés, mettant en danger la vie des employés et des clients des banques attaquées.
Mouttahidoun est passé à la vitesse supérieure vendredi, après avoir revendiqué la responsabilité des attaques contre les banques, dont celle de mercredi, menée par une jeune activiste, Saly Hafez, contre la branche de la Blom Bank à Sodeco. La jeune femme voulait retirer la somme de 50 000 dollars pour financer le traitement de sa sœur atteinte d’un cancer. Au cours d’une conférence de presse, le chef de ce groupe, Rami Alleik, a annoncé qu’avec la fermeture des banques la semaine prochaine, ce sont les demeures de leurs PDG qui vont être prises d’assaut « au Liban et à l’étranger », dans le cadre d’une opération qu’il a baptisée « le compte à rebours a commencé » et qu’il a située dans le cadre d’une « légitime défense ».
Selon la Banque mondiale, les autorités libanaises ont dilapidé les dépôts des épargnants ces 30 dernières années grâce à une pyramide de Ponzi. Cette méthode –une escroquerie consistant à rémunérer les investisseurs existants avec les fonds apportés par les nouveaux entrants– a profité aux principaux acteurs politiques et économiques au détriment des ménages, affirme la Banque mondiale qui dénonce une « dépression délibérée ».
(avec agences et médias)