Le CBF (Conseil bancaire et financier), anciennement connu sous l’appellation Association professionnelle tunisienne des banques et des établissements financiers (APTBEF), vient d’organiser une journée de sensibilisation destinée aux établissements bancaires et financiers sous le thème « Prévenir les risques de non-conformité pour les établissements financiers : De la contrainte à l’opportunité ».
En collaboration avec le cabinet d’avocats international spécialisé Ashurst LLP (5e cabinet mondial avec 1600 avocats), l’événement a enregistré la participation d’une panel d’experts internationaux de premier rang qui ont abordé des questions d’une grande actualité dans le monde et en Tunisie, à savoir les sanctions économiques, la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, la RSE et les droits humains et également la lutte contre la corruption.
« Ce sont des thèmes sur lesquels nous travaillons énormément depuis quelques années et qui nécessitent des mises à jour régulières. Nous nous sommes organisés de façon à ce qu’il y ait une veille continue pour se prémunir contre les risques existants » a déclaré à l’ouverture des travaux Mouna Saaied, déléguée générale du CBF. « Les établissements bancaires et financiers en Tunisie doivent être au fait des dispositions en vigueur à l’échelle internationale afin d’éviter d’être écartés, voire même que leurs relations soient rompues avec leurs banques correspondantes » a-t-elle indiqué également.
Le contexte actuel, marqué par une instabilité internationale, expose les établissements financiers de manière exponentielle aux risques économiques. Ces derniers mois et notamment avec le conflit russo-ukrainien, l’importance du dispositif en matière de prévention des sanctions économiques au sein des établissements financiers s’avère primordial pour se prémunir contre l’application des règlementations européennes ou américaines qui sont susceptibles d’impacter les entreprises, peu importe où elles sont localisées dans le monde.
Paul Charlot, avocat au Barreau de Paris, collaborateur senior au département Dispute Resolution au cabinet Ashurst, a mis en exergue lors de son intervention les risques auxquels les acteurs de la place financière peuvent être exposés au sujet de la conformité au sens large. « J’ai constaté ces dernières années un changement de paradigmes révélés par la condamnation de certains établissements financiers par des régulateurs bancaires ou par des autorités s’appuyant sur l’application extraterritoriale de leurs droits » a-t-il expliqué. « Un certain nombre de banques correspondantes pratiquent de plus en plus du de-risking sur les établissements financiers, notamment ceux localisés en Afrique ».
Les sanctions européennes et américaines en vigueur sont en effet susceptibles d’impacter les activités des établissements financiers en Tunisie et leurs conséquences pouvant être redoutables. « Les directions de conformité doivent se structurer et mettre en place les dispositifs adéquats afin de permettre de traiter ces risques efficacement » a prévenu Me Charlot.
Sami Slama, expert financier auprès du cabinet CFC Partners, a souligné pour sa part qu’en Afrique, le dispositif national de maîtrise des risques était d’une maturité moyenne à faible avec une note de 6.85/10 (10 étant les pays les plus risqués). Les principaux risques sur le continent, selon Slama, c’est que l’économie africaine est principalement basée sur les espèces (cash economy) et sur l’activité informelle. Autre point important en Afrique, la quasi-absence de textes légiférant les activités virtuelles, autrement dit la crypto-monnaie (dont 2 à 3% sont d’origine blanchie ou finançant les guerres).
Abordant la question des correspondants bancaires, l’expert de CFC Partners a annoncé que selon une étude de la Banque mondiale, 22% des banques tunisiennes interviewées ont reconnu avoir perdu des relations de correspondants bancaires dû à leurs politiques de de-risking. Ce qui entraîne une baisse de profitabilité et du volume d’affaires transactionnelles.
Concernant la question de la RSE (Responsabilité sociétale des entreprises), Cristian Mocanu, Secrétaire Général de COFICERT, organisme de certification français dédié aux certifications financières et extra financières et également expert en RSE, a rappelé l’engagement sans précédent en la matière enregistré aujourd’hui auprès de l’intégralité des acteurs financiers.
A l’opposé de la lutte contre la criminalité financière incarnée par la tutelle du Gafi qui a uniformisé les pratiques à l’échelle internationale, Mocanu a indiqué que pour la RSE, les règles étaient très hétérogènes et très régionales. « Cela rend l’exercice d’autant plus compliqué et face à une pression publique qui monte progressivement ces derniers temps, on se doit d’être capables de mettre en place des dispositifs efficaces de gestion de la RSE ».
Concernant le cadre légal, et face à la multiplicité des lois existantes, l’expert a estimé que la standardisation des pratiques RSE était un enjeu majeur afin de pouvoir les régir au niveau mondial, notamment pour les reporting extra-financiers et ce sous la pression du public mais aussi des autorités publiques. « Selon une enquête mondiale, 50% des investisseurs d’aujourd’hui ou des gestionnaires d’actifs sont prêts à céder leurs participations qui ne sont pas responsables, c’est-à-dire qui ne privilégient pas une approche sociale et éthique dans la gouvernance d’une entreprise » a-t-il rapporté.
La question de l’anti-corruption et de la gouvernance a également fait l’objet d’un vaste débat lors de la journée. Pour la circonstance, le CBF avait invité Christian Levesque, expert international norme ISO 37001 et 37000 management anti-corruption et gouvernance. La transparence et la confiance étant les pierres angulaires sur lesquelles repose la crédibilité de toute organisation, la norme ISO 37001 est devenue une solution pour les institutions et les entreprises équitables qui ne veulent pas être sérieusement discréditées par la corruption.
ISO 37001 est la norme internationale qui permet de prévenir, détecter et traiter les problèmes de corruption. Elle se base sur l’adoption d’une politique de lutte contre la corruption, à la désignation d’une personne chargée de superviser la conformité aux mesures anti-corruption, au développement de la formation, à l’évaluation des risques et à l’exercice d’un devoir de vigilance quant aux projets et aux parties associées aux activités.
« Le vrai changement dans les pratiques constatées va prendre du temps » a prévenu Levesque. « Face à la corruption active ou passive, ce n’est pas une question d’un ou deux ans, c’est une question de générations avec une amélioration continue nécessaire ».