Par Raouf KHALSI
Avant le 25 juillet, Kais Saied était un dialecticien, comme aimait à le dépeindre son compagnon de route Ridha Chiheb El Mekki. Répondant aux suppliques de Mohamed Abbou (ex-ami, devenu ennemi) il osait actionner le fameux article 80. Péril imminent et, donc, le feu à la maison.
Dans l’ivresse d’un pouvoir qui n’était que mirage avant ce « coup », Saied libérait le pays du fait accompli islamiste. Délivrance. L’aube d’une ère nouvelle. Chemin faisant, les Tunisiens se retrouvaient engoncés dans des magmas existentiels : récession, inflation, courbettes devant cet FMI se dressant tel un épouvantail que le peuple n’arrive toujours pas à déchiffrer. « Le peuple veut » ne s’y reconnait plus. Et, du coup, voilà que surgissent dans l’imaginaire collectif tous les avatars d’un système de sinistre mémoire : unificateur en la forme ; fortement sélectif sur le fond et dans les mécanismes. Le Khéops ne s’imaginait pas que sa pyramide allait être inversée et marcher sur la tête.
Nous ne sommes pas dans Le fait du Prince. La philosophie de Saied est-elle néanmoins porteuses d’anathèmes contre tous ceux qui pensent autrement ? En fait, dire « oui » ne vaut rien si on n’a pas le droit de dire « non ». C’est ce que Louis Dalmas (Trotskiste et ami de Jean Paul Sartre) explique dans son ouvrage « Le crépuscule des élites ». Ici, c’est la classe dirigeante qui est ironiquement baptisée du nom d’ « élites ». Le dialecticien Saied passe le témoin à Saied l’unilatéraliste.
Si l’on devait tout faire au nom de l’ascèse, l’idéologie resterait orpheline de sa fonction première : accoucheuse d’Histoire. Pas dans le sens sartrien du terme, dans le sens où Sartre parle de guerres et de violences, les seules qui soient à ses yeux accoucheuses d’Histoire.
Pourrions-nous, néanmoins, reprocher à l’homme du 25 Juillet d’avoir mis fin à une espèce d’hérésie, de parodie de la démocratie ? Pourrions-nous, en revanche, nous accommoder d’une addiction au JORT, alors que « Le peuple veut », c’est aussi comprendre, savoir où il va, s’assurer que l’Etat profond a été démantelé. Plus besoin de chercher du côté des élites qui l’ont trahi. Plus besoin de s’attarder sur les tribulations de ces partis toujours aussi habiles à se complaire dans les extrêmes, à parler « démocratie » qu’ils ont hypothéquée durant toute une décennie. Et, voilà leur contre-manœuvre : boycotter les Législatives ! Boulevard ouvert, donc, à tous ceux qui s’arriment à l’orthodoxie saiedienne, à ce scrutin inédit où les partis devront, d’abord, s’abreuver de la dialectique des pyramides et, aussi, de leur propre faillite.
Leur ennemi, ce n’est pas Saied. Leur ennemi est en eux.
Finalement, Saied n’a pas forcé les choses. Il aura juste pris ce que la constitution de 2014 l’autorisait de prendre.
Le résultat après le 17 décembre ? C’est ce jour-là qu’on sera fixé sur les fondements de ce slogan surgi comme une tornade : « Le peuple veut ».
Les élites classiques l’auront voulu.