L’affaire judiciaire des deux avocats Ayoub Ghedamsi et Hayet Jazzar, poursuivis pour « atteinte contre un fonctionnaire public du système judiciaire », a polarisé pendant des jours l’attention de l’opinion publique judiciaire en Tunisie, notamment dans les rangs du barreau, mais a été aussi au centre des intérêts de la société civile, dont plusieurs composantes ont manifesté leur soutien et leur solidarité avec les deux avocats. D’ailleurs, le rassemblement organisé par la « Coalition civile » devant le tribunal pendant l’audience de mercredi a eu un effet très positif sur le déroulement de celle-ci, d’après le témoignage de maître Ghedamsi. Selon l’avocat, même si le verdict a été reporté, la grande mobilisation du barreau et de la société civile a pratiquement donné un élan vers le retrait de la plainte déposée par une magistrate contre eux. 

Interrogé par le Temps autour de sa participation à la défense des deux avocats tunisiens Hayet Jazzar et Ayoub Ghedamsi, l’avocat français Martin Pradel a indiqué qu’il était présent pour représenter le point de vue de l’Union internationale des avocats et celui du Conseil national des barreaux français aussi face à cette affaire et quant aux accusations prononcées contre les avocats poursuivis pour « atteinte contre un fonctionnaire public du système judiciaire ». 

« Je suis intervenu à l’audience afin de présenter le point de vue de l’Union Internationale des Avocats, et du Conseil National des Barreaux de France, qui défendent au quotidien les principes d’une justice forte et équitable, indépendante, impartiale et libre. Pour que la Justice soit équitable, il faut que le magistrat soit indépendant, et que l’avocat soit libre de tout plaider. C’est pour cette raison que la Tunisie s’est dotée d’une loi, exceptionnellement avancée sur un plan démocratique, qui donne à l’avocat une immunité contre toute poursuite lorsqu’il parle en audience », a-t-il expliqué en soulignant que le fait que maître Jazzar et maître Ghedamsi sont poursuivis, pourtant, a ému les avocats du monde entier.

L’avocat Tarek Harakati, président de l’Association tunisienne des jeunes avocats (ATJA) avait indiqué avant hier, dans une déclaration accordée au Temps, que pas moins de 250 avocats tunisiens et d’autres avocats étrangers, notamment Martin Pradel, représentant du barreau français, et maître Saifallah Al Masry, se sont mobilisés pour défendre leurs collègues Hayet Jazzar et Ayoub Ghedamsi. 

Interviewé par le Temps sur les lieux (tribunal de première instance de Tunis) le jour de l’audience, l’avocat Ayoub Ghedamsi a déclaré, à son tour, que son audience et celle de Hayet Jazzar était « historique ». Une audience qui, selon ses mots, a témoigné d’un grand « ralliement » des avocats. Ghedamsi a souligné que le grand nombre des avocats de la défense avait exigé la mise à disposition d’une plus grande salle. 

« Durant leurs plaidoiries, qui ont duré des heures, les avocats ont mis l’accent sur l’immunité de l’avocat et les garanties que les avocats doivent avoir. D’autre part, nous avons refusé, moi et maître Jazzar, de nous soumettre à l’interrogatoire et nous avons réaffirmé notre attachement aux dispositions du chapitre 47 abordant la non-opposabilité des poursuites pénales contre les avocats dans le cadre de l’exercice de la profession ou dans le cadre des plaidoiries », a-t-il ajouté. 

 

En effet, cette affaire avait suscité une vaste vague de solidarité exprimée tout au long de la semaine par un nombre d’organisations de la société civile. Dans un communiqué de solidarité, l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) a dénoncé ce que a été qualifié comme atteinte aux principes élémentaires du droit à la défense garantis sur le plan national et international en soulignant que « la poursuite d’avocats pour leur plaidoirie en défense d’une victime de torture ne peut, en effet, que maintenir l’impunité des auteurs ».

 Pour sa part, la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’homme (LTDH) a dénoncé, à travers un communiqué datant du 10 septembre 2022, les poursuites judiciaires contre les deux avocats accusés « d’outrage à un fonctionnaire public » conformément aux dispositions des articles 125 et 126 du code pénal. La ligue a également considéré qu’il s’agit d’une atteinte au droit à la défense « garanti par la constitution et par les pactes et traités internationaux ». L’Union générale des étudiants de Tunis (UGET) a publié, de son côté, une déclaration affirmant que l’opinion publique estudiantine a été surprise par la poursuite de ces deux avocats et par les accusations portées contre eux. L’UGET a exprimé, par là-même, sa solidarité inconditionnelle et absolue avec les deux avocats. 

Pour rappel, Hayet Jazzar et Ayoub Ghedamsi ont comparu ce mercredi, 12 octobre 2022, devant le juge d’instruction près le tribunal de première instance de Tunis pour « atteinte contre un fonctionnaire public du système judiciaire », suite à une plainte déposée par une magistrate du tribunal cantonal de Carthage. Les deux avocats avaient été désignés, le 30 avril 2020, par la LTDH pour défendre une victime de violence (le jour de ladite « atteinte ») au tribunal de Carthage. Dans le même contexte, il convient de noter que Hayet Jazzar est membre de l’Atfd et avocate au sein du centre d’écoute et d’orientation des femmes victimes de violence. Ayoub Ghedamsi est, quant à lui, membre de la LTDH – branche de la Mannouba. 

Rym CHAABANI