La Tunisie est toujours confrontée au problème du manque de certains médicaments. Beaucoup de  médicaments ont disparu des étagères des pharmacies depuis plusieurs mois. Les causes avancées pour justifier ces ruptures sont multiples comme le précise Aymen Skander, Trésorier du Conseil national de l’ordre des pharmaciens de Tunisie (CNOPT).

Le Temps News : A quoi est due cette pénurie de médicaments ? On parle environ de 532 médicaments !

Aymen Skander : Les raisons sont nombreuses. Bien évidemment, nous pouvons évoquer les difficultés de recouvrement rencontrées par la PCT pour payer les laboratoires internationaux pour les médicaments importés. Mais, de nombreux médicaments fabriqués localement connaissent également des perturbations en raison de pénuries de matières premières à l’échelle mondiale mais aussi du prix de ces matières premières qui a fortement augmenté depuis deux ans. Notre inquiétude demeure sur la pénurie de médicaments n’ayant pas d’équivalents et pour lesquels les prescripteurs ont peu d’alternatives.

La pénurie de médicaments est-elle liée à la situation des caisses sociales et à la PCT qui connaissent des difficultés financières ?

Pour les médicaments importés, oui, il s’agit d’une situation de cause à effet en cascade.

Si les dettes des caisses sociales et des hôpitaux publics auprès de la PCT s’accentuent (on parle de plus de 1,2 Milliards de dinars), la PCT dispose alors de moins de liquidités pour honorer ses engagements auprès des fournisseurs étrangers.

  Y a-t-il réellement une rupture de stock ou une difficulté d’accès de plusieurs centaines de médicaments par les pharmacies privées ?

Cela varie d’un cas à l’autre. Pour certains médicaments, l’accès est difficile et les quantités commandées par les pharmacies privées sont réduites et rationalisées pour garantir une distribution équitable sur l’ensemble du territoire.

Pour d’autres médicaments, malheureusement, la situation est plus contraignante car ils sont en rupture de stock au niveau de la PCT depuis plusieurs mois.

Dans tous les cas, on parle de situation préoccupante dès lors que le stock de sécurité est atteint et qu’il y a un manque de visibilité sur les réapprovisionnements à venir. Les retards de paiements de la CNAM aux pharmacies privées (près de 6 mois) ont mis à mal les trésoreries de celles-ci  impactent inévitablement l’approvisionnement en médicament.

L’industrie locale pourra-t-elle couvrir 70% des besoins en médicaments des Tunisiens ?

L’industrie locale forte de son expérience et de son savoir-faire depuis des décennies couvre déjà plus de 70% des besoins en unités. Elle continuera à le faire malgré les difficultés d’approvisionnement des matières premières tant sur la disponibilité que le coût. Cependant, certains médicaments vitaux ne sont pas fabriqués localement. La satisfaction du besoin du patient tunisien, ne peut donc pas se limiter strictement à la production locale malgré toutes les bonnes volontés.

Le départ de trois entreprises internationales spécialisées dans la fabrication des médicaments aura-t-il un impact sur l’approvisionnement ?

Ces départs d’entreprises internationales ont d’abord un impact social dans la mesure où les employés perdent leurs emplois. Il faut bien savoir qu’il s’agit d’un départ d’entreprises mais que les AMM des médicaments continueront d’être présent sur le marché tunisien. Pour les médicaments fabriqués localement dit « sous licence », l’impact serait à priori moins important car les fabricants continueront d’importer les matières premières et de fabriquer les médicaments. Pour les médicaments importés, cela pourra avoir un impact plus important car la PCT devra opérer sans ces acteurs qui étaient auparavant physiquement présent.

Enfin, on peut craindre également des conséquences néfastes sur l’accès aux médicaments innovants. Dans tous les cas, il est encore tôt pour juger les réelles conséquences de ces départs.

Les pharmaciens suggèrent aux patients de prendre les médicaments génériques qui, visiblement, ne jouissent pas de la confiance des Tunisiens. Qu’en pensez-vous ?

Il faut d’abord savoir que les médicaments génériques jouissent des mêmes contrôles et standards de qualité que les médicaments « princeps » et que ces médicaments génériques sont prescrits et dispensés en Tunisie depuis plusieurs années tant dans le secteur public que privé. De plus, l’industrie pharmaceutique tunisienne forte de son expertise assure la fabrication de médicaments génériques de haute qualité. Il faut rassurer le patient tunisien sur ce plan là et accentuer le développement des médicaments génériques à l’instar de ce qui se fait chez nos voisins européens pour justement garder des ressources permettant l’accès aux médicaments innovants.

 Est-vrai que les prix des médicaments vont augmenter ?

 Rien n’est officiel pour le moment. Cela n’a pas été décidé par le ministère du commerce. Les prix des médicaments n’ont pas  augmenté depuis mai 2021. Par contre à l’avenir si jamais des laboratoires internationaux venaient à arrêter leurs livraisons vers la Tunisie, la PCT devra s’approvisionner auprès de grossistes répartiteurs à des prix plus élevés que les prix négociés avec les laboratoires directement. Nous avons déjà des exemples de ce type de médicaments dont les prix ont doublé voire triplé car ils ne sont plus livrés par les multinationales habituelles.

 Faut-il créer une agence nationale de médicaments pour faire face à cette pénurie ?

Nous disposons en Tunisie d’un maillage d’institutions publiques (Direction de la Pharmacie et du médicament, Laboratoire national de contrôle du Médicament, Direction de l’inspection pharmaceutique etc…) qui font que notre industrie pharmaceutique a un niveau de qualité et d’exigences conformes aux standards internationaux. De plus, le réseau de distribution des médicaments en Tunisie avec tous ses acteurs intermédiaires garantit une distribution optimale des médicaments. La création d’une agence nationale du médicament renforcera encore plus le marché pharmaceutique en Tunisie. Mais pour faire face à la pénurie du médicament, il faudra bien plus qu’une agence.

                                   Propos recueillis par Kamel BOUAOUINA