Par Raouf Khalsi

Ce qui faisait notre gloire, notre spécificité, fait aujourd’hui notre déchéance.

La chance que nous avions d’être le portail de la Méditerranée et de l’Europe retombe en malédiction. Celle-ci sonne le tocsin de la fin de l’Histoire. La fin des valeurs sur lesquelles une civilisation trois fois millénaire avait bâti ses certitudes. Et ses axes géostratégiques.

Zarzis n’est plus cet « îlot » de paix tant prisé par les étrangers. Mais, au-delà, mille trois cent kilomètres de côte sont devenus la rampe de lancement vers le mouroir méditerranéen.

Madame Najla Bouden déclarait, avant-hier, que les modèles de développement de notre pays sont devenus obsolètes et anachroniques. C’est vrai. Mais que propose-t-on comme solutions de substitution ?

La vérité est que ce pays est passé par des convulsions à répétition. Bourguiba s’était laissé confondre dans les brumes d’un crépuscule de vie où tous les modèles se révélaient être en déphasage par rapport à sa propre dimension de visionnaire. Les jeunes qu’il a éduqués n’avaient paradoxalement rien en quoi croire. Après lui, le slogan de Ben Ali : « Les jeunes ne sont pas le problème, mais la solution », eh bien, sur le tard, ce slogan se retournait contre lui. Les jeunes, c’était bel et bien le problème. Et ces jeunes l’ont renversé au nom de la révolution de la dignité. Une révolution qu’il ont faite, mais qui a été aussitôt récupérée par les patriarches et les courants idéologiques traversant l’esprit d’un peuple meurtri et écartelé entre ce qu’il croyait être et ce qu’on l’a sommé de devenir. C’est dès lors, au mieux la fuite ; au pire, la résignation.

Une fuite où l’on brûle les vaisseaux. Sans références : ni l’Envers, ni l’Endroit.

Sinon, une résignation, mue par le sentiment d’avoir été spolié de tout.

Et, alors, quel nouveau modèle de développement ?

Le développement aujourd’hui est dans les faits. Dans les chiffres. Six mille jeunes se sont convertis au terrorisme dans les rangs de Daech. D’autres ont été faire des massacres en Europe. C’est aussi une forme de fuite. Des milliers d’ingénieurs, de médecins et de cadres paramédicaux ont choisi l’exil dans un monde occidental devenu schizophrène pour peu qu’il se penche sur la « question tunisienne ». Il prend ce qu’il y a de meilleur chez nous et rejette ce qu’il considère comme étant « le pire ». Et le tout drapé d’une bonne dose de victimisation.

En soi, Lampedusa, c’est un enfer, mais un enfer que des familles entières décident de s’y jeter. Quitte à périr en mer.

Le verrou se resserre alors autour de la Tunisie. Et, extrême humiliation, voilà que la Serbie exige des visas aux Tunisiens. Même les cartes de séjour y sont remises en question.

Entre temps, face à une telle déferlante du désespoir, face aux drames de la migration illégale, nous, ici, prétendons à l’alignement des planètes pour la résurgence du pays. Et cela fait que nous pataugeons dans la cacophonie. Les mots. Eux aussi changent de sens. Et « quand les mots changent de sens, les royaumes deviennent ingouvernables. »

C’est Confucius qui parle.