Au cours des dernières années, la Tunisie a enregistré des avancées notables en matière de participation des femmes à la vie politique au niveau parlementaire et au niveau local, mais beaucoup moins au niveau ministériel. Cependant, malgré une hausse significative du nombre de femmes engagées dans la vie politique tunisienne à tous les niveaux, celles-ci restent encore largement sous-représentées à la présidentielle et au parlement. Selon l’ISIE, seulement 14,1 % des dossiers ont été présentés par des femmes pour les élections législatives. Alors comment expliquer cette désaffection des femmes en politique ? Pourquoi le corps électoral penche-t-il plutôt pour les hommes ?
L’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) a indiqué que 1281 dossiers de candidature dont 1090 appartenant à des hommes et 191 femmes ont été déposés, le mardi 25 octobre, pour les législatives 2022, prévues pour 17 décembre. Pourtant le pays compte près de 6 millions de femmes sur une population globale d’un peu plus de 11 millions d’habitants.
Au lendemain de la publication de la nouvelle loi électorale, plusieurs parties ont dénoncé une exclusion de la femme de l’organe législatif. Plusieurs ont jugé les critères d’éligibilité comme favorables aux hommes. Les femmes auront plus de difficultés à obtenir des parrainages comme le souligne le Président du parti Arraya Al Wataniya, Mabrouk Korchid, qui a dénoncé l’exclusion de la femme tunisienne des prochaines législatives prévues en décembre 2022. Il a avancé qu’il serait quasi-impossible pour une femme tunisienne de collecter les 400 parrainages dans les régions de l’intérieur de la Tunisie, considérant la participation des électrices aux prochaines législatives comme une « offense » envers la femme. Il a appelé les Tunisiennes à se mobiliser pour protéger leurs droits.
Critères d’éligibilité favorables ?
Au lendemain de la publication de la nouvelle loi électorale, plusieurs associations ont dénoncé une exclusion de la femme de l’organe législatif. Plusieurs ont jugé les critères d’éligibilité comme favorables aux hommes.
Nabila Hamza, membre de L’association tunisienne des femmes démocrates (l’ATFD), a estimé que la loi électorale est à la fois injuste et choquante et exclut le principe de parité horizontale et verticale. Nabila Hamza estime que le prochain parlement sera entièrement masculin par excellence. “La structure du régime démocratique par la base conduira à un nouveau système de clientélisme et de népotisme”, poursuit-elle. Elle a ajouté que le système de vote uninominal à deux tours conduira inévitablement à un parlement masculin. Tout en soulignant que la loi électorale prévoit une participation fictive des femmes. D’où leur absence dans les postes de décision.
Une marche saccadée vers la politique
La Dynamique féministe, regroupant plusieurs associations, notamment l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), l’association Beity, l’association Aswat Nissa, l’association Tawhida Ben Cheikh, l’Association des Femmes Tunisiennes pour la recherche sur le développement (AFTURD), l’Association femme et citoyenneté du Kef, l’association Amal pour la famille et l’enfant, l’association Joussour de citoyenneté du Kef, l’association Calam et la Ligue des électrices tunisiennes, a exprimé son attachement aux acquis de la révolution et en particulier la parité et l’égalité des droits et des devoirs. Ces associations avaient dénoncé l’éviction des femmes du processus électoral avec la non-imposition de la parité dans la nouvelle loi électorale. Elles ont levé des slogans au cours d’une manifestation organisée à Tunis notamment : « Nous sommes des citoyennes à part entière, nous n’accepterons pas d’être de simples marraines », « Nous sommes des citoyennes à part entière, nous n’accepterons pas une législation qui nous exclut et des procédures qui nous bannissent », « Nous ne sommes pas des compléments et nous ne serons pas un décor de cette mascarade ». Elles ont réclamé la révision de la loi électorale afin de garantir la parité homme/femme dans toutes les prochaines étapes électorales, tout en revendiquant le retrait du décret présidentiel N°55 (datant du 15 septembre 2022) qui élimine, selon les associations composantes de la dynamique, les femmes et leur droit de participer à la vie politique. Ce décret « est venu en rupture complète » avec les luttes pour « une véritable démocratie qui protège les gouvernés avant les dirigeants et promeut la dignité de chaque citoyenne et citoyen au milieu de l’égalité et de l’égalité des chances »
Aujourd’hui comme hier, les hommes bénéficient dès lors de multiples atouts augmentant leurs chances d’être élus : âge, expérience, nombre de mandats précédents, réseaux personnels, soutien de la part des structures du parti, contacts avec les médias, etc. Sans oublier, bien entendu, les différences de condition qui persistent, encore largement de nos jours, entre les hommes et les femmes, notamment au niveau des revenus ou du temps libre potentiellement consacré à des activités extérieures à la sphère familiale.
« La faible participation exprime la plus grande dépolitisation des femmes. On peut imaginer que pour certaines générations de femmes, la politique est une affaire d’hommes » indique Sarra, une jeune activiste qui préconise un système binominal paritaire : des candidatures conjointes d’un homme et une femme. Son amie Saïda, précise que l’accès des femmes au financement des campagnes électorales pose problème. La nouvelle loi abolit le financement public de ces campagnes. Les candidats devront désormais recourir à l’autofinancement ou au financement privé. Les femmes ne sont pas aussi bien loties que les hommes s’agissant des moyens financiers » explique t-telle. Jamila, estime que la place de la femme au sein des institutions représentatives locales et nationales et donc son intégration au sein des élites du pays demeure strictement limitée. Ce phénomène est lié à une construction culturelle des relations entre les genres masculin et féminin. Cette construction idéologique déprécie son rôle dans la vie publique et la confine à un rôle traditionnel de « mère et épouse ». La marche vers la parité se fait à pas de tortue ».
Toujours l’ostracisme
Les femmes restent largement sous-représentées. Héla, membre actif dans un parti de gauche souligne que « la majorité des pays où les femmes sont nombreuses au parlement appliquent des quotas politiques. En Belgique par exemple, le pourcentage de femmes à la chambre basse frôle les 35 %. La Belgique doit cette progression a l’intervention positive du gouvernement qui a adopté en 2002 une loi imposant la parité hommes-femmes sur les listes électorales et leur alternance en tête de liste (les deux premiers candidats en tête de liste ne peuvent être du même sexe) pour améliorer la représentation des femmes. En France, les femmes représentaient 39% des députées lors de la session précédente des élections législatives de 2017 à 2022. La loi en France demande aux partis politiques de présenter autant de femmes que d’hommes dans toutes les élections françaises »
En dépit des efforts déployés par les partis politiques pour la promotion des femmes, le constat est quelque peu amer. Les femmes ne parviennent pas à se hisser au rang qu’elles méritent. Elles peinent à se faire une place dans la vie politique. Cette situation interpelle les associations et les partis politiques qui doivent assumer leur entière responsabilité en matière de promotion de la présence des femmes au sein de l’institution législative et l’ensemble des conseils élus. Cela dit, la parité demeure en ce sens un objectif que la Tunisie souhaite atteindre à l’horizon 2030 conformément aux Objectifs de Développement Durable (ODD), à condition que les prochaines échéances électorales soient l’occasion pour le démarrage effectif de cette voie progressive vers la consécration de la parité. Mais faut-il renforcer l’arsenal juridique pour faire avancer les choses en matière de parité ?
Kamel BOUAOUINA