Par Slim BEN YOUSSEF
Le présent ne thésaurise pas le passé. C’est le passé qui ne cesse d’affermir son jaillissement en toute « présence ». Après 56 ans d’existence, les Journées cinématographiques de Carthage n’ont plus droit au ballottement. Une identité panafricaine-panarabe à bétonner ; une tradition cinéphilique à cimenter ; une culture de débat et d’ouverture à « l’autre » à étançonner ; des idéaux de cinéma, de forme et de fond, à cultiver, à enraciner, à mettre en avant, – à assumer– loin des schémas conventionnels de consommation. Et la magie ineffable d’une kermesse de cinéma, doublée d’une joie de vivre caractéristique de l’événement, à –sans cesse– exalter.
Question cruciale : que reste-t-il de nos salles ? Patrimoine matériel en péril.
Et la concurrence ? Le cousin Fespaco gagne du terrain. Le Caire et Marrakech montrent des dents bien longues. « Le » mythique JCC, lui, continue de « résister ». Un budget qui régresse, parle-t-on dans les coulisses, des films « hors de portée », des pointures qui nous snobent. L’Etat fait des économies, murmure-t-on encore. Patrimoine immatériel en jeu. C’est la honte.
Question casse-gueule : la Cité de la culture, ses allures d’« Alphaville », sa droiture carrée et ses murs marbrés tuent-ils, désormais, le charme des JCC ? Le débat s’impose. L’Avenue Habib Bourguiba, ses rues, ruelles et impasses adjacentes respirent l’âme des JCC ; ses salles historiques et ses repères-phares ; ses bars, bistrots, fast-foods et cafés ; ses longues files d’attentes sur les trottoirs, ses débats passionnés dans les terrasses et ses rencontres cosmopolites, improvisées à longueur de jours, à largeur de nuits, entre cinéphiles, professionnels, amateurs et simples passants.
Microcosme mythique des JCC, qui fait le charme irrésistible, quasi-unique, de ce festival plusieurs fois décennal.
Le reste n’est que tapis rouge. Un zeste de « bling-bling » et de « glamour », qui, avouons-le, ne nous a jamais réussi, n’ayant pas su aussi nous seoir, et ce, malgré le « big buzz » et leur persévérance aux autorités tutrices. N’empêche, du 29 octobre au 5 novembre, nous irons toutes et tous au cinéma. Cela va de soi : les JCC sont là. Mais aussi parce que cette 33ème édition se propose, somme toute, de « frayer un chemin », dit-on ; d’ « ouvrir des brèches ».
Les tribulations de la « conjoncture », et ses sujets « brûlants », pourraient dès lors attendre. Le temps d’une semaine. Le temps d’une fête de cinéma. Le temps d’un film. « Quand on va au cinéma, on lève la tête. Quand on regarde la télévision, on la baisse » », disait un jour le défunt Godard.
Du 29 octobre au 5 novembre, nous lèverons toutes et tous la tête.