Attaquons le problème sans ambages : un « éventuel » retour à la tenue biennale des prochaines éditions des JCC, annoncé à brûle-pourpoint sur le direct d’un plateau télévisé par la ministre des Affaires culturelles, (sermonnée vraisemblablement au Palais quelques instants plus tôt) est une décision –l’on pèsera ici les mots : impulsive, réactionnaire et tout au moins irréfléchie. Pour ne pas dire irresponsable.
Impulsive, parce que, au pire des « bad buzz », une bourde au palmarès (aussi grave soit-elle) ou un extraterrestre qui atterrit impertinemment sur un tapis rouge, offusquant dans la foulée le « goût commun », l’opinion publique et le président de la République en personne, pourraient justifier, après évaluation sereine, d’autres mesures, mais surtout pas cette velléité du retour en arrière. Aucun lien. Et puis, seul le cinéma importe. Tout le reste n’est que futilités. A compter, entre autres, les querelles de clochers entre ministres et dirigeants, les démissions au pied levé et les guerres d’égo. Même les plus graves bavures (il y en a eu ; il y en aura toujours) ne devraient en aucun cas amener à pareille résolution. Et puis, le tapis rouge ne nous a jamais réussi, n’avions-nous pas cessé de le ressasser depuis belle lurette ? Il suffira de l’enrouler. Le dérouler ailleurs. Côté organisation, le plus important, c’est la qualité des films, les débats autour du cinéma, le déploiement de la ligne éditoriale. Et, surtout, se donner les moyens de ses ambitions pour mettre tout cela en valeur, loin de tout opportunisme mercantiliste, mais aussi de toute austérité populiste de pacotille. Certes, cette dernière session n’est pas la meilleure de toutes (excusez l’euphémisme). Encore faut-il que l’on prenne d’abord le temps –tout le temps qu’il faudra- d’en débattre profondément, évaluer sereinement et formuler les recommandations pour aller de l’avant et repartir de plus belle.
Réactionnaire, parce que plusieurs générations de cinéphiles, de journalistes, de critiques, de professionnels de cinéma et d’acteurs culturels, ont milité pendant des décennies, et le font encore, pour que le festival (oui ç’en est un, le reste n’est qu’abus de langage), puisse toujours « progresser ». Et, entre autres acquis, devenir annuel à partir de 2014. Résultat immédiat : un « baby-boom » de la production cinématographique, tous formats confondus, très ostensible à l’échelle nationale durant ces dernières années. Résultat escompté : donner l’impulsion en faveur du développement du cinéma à l’échelle africaine et arabe. En attendant d’autres répercussions positives, à mesure que le festival « progresse ».
Irréfléchie, pour ne pas dire irresponsable, parce que, à défaut d’avoir veillé à imaginer, concocter et mettre en œuvre des politiques publiques, basées sur des visions claires et des stratégies ciblées et minutieusement étudiées (c’est ce que font les ministères dans les pays qui se respectent), à l’occurrence en matière de culture, l’Etat tunisien se contente de jouer au tic au tac, de manière conjoncturelle, quasi-infantile, avec les humeurs inconstantes de l’actualité, dans un pays où la culture ne vaut même pas 1% du budget étatique.
Donnez-moi un cinéma, je vous donnerai un peuple, aurait dû haranguer Saïed devant sa ministre.
Il y a des JCC tous les ans, donnez-moi les moyens de les développer et d’en faire beaucoup plus, aurait-elle dû rétorquer. Dans le meilleur des mondes.
Slim BEN YOUSSEF