Le président de la République a reçu, mercredi dernier le président du conseil supérieur provisoire de la magistrature, Moncef Kchaou, et l’entretien a porté sur des questions en rapport, notamment, avec « le temps judiciaire », mais aussi de l’issue de certaines affaires et du rôle du conseil supérieur de la justice judiciaire dans l’accélération de l’examen d’un ensemble de pratiques afin que les tribunaux permettent le rétablissement des droits de chacun.
Kas Saied a mis le doigt sur le problème de la lenteur de la justice qu’endurent les justiciables, pas seulement en Tunisie, mais partout ailleurs et notamment dans les pays dotés d’instances judiciaires et de législations dans le but de permettre aux citoyens de recouvrer leurs droits.
Cependant cette lenteur est également dans le but d’éviter une justice expéditive et c’est la raison pour laquelle, ont été votées des lois réglementant la procédure judiciaire, qui va du principe de la compétence des tribunaux afin d’assurer la neutralité et l’impartialité du juge, jusqu’au principe du procès équitable permettant à toutes les parties de présenter les moyens destinés à soutenir leurs demandes et assurer leur défense par tous les moyens. C’est justement ces éléments de procédure qui font qu’une affaire peut se prolonger dans le temps. Au civil, le temps subjectif vécu par le demandeur est toujours trop long. Le défendeur est partagé entre le désir d’être rapidement fixé sur son sort et celui de retarder l’échéance quand il pressent qu’elle l’obligera à subir des conséquences qu’il redoute. Au pénal, il y a toujours ce désir du plaignant de voir le « coupable » puni le plus vite possible. C’est la raison pour laquelle, il trouve qu’il y a une perte de temps par les délais de procédure et notamment les mécanismes de prescription de l’action publique.
Justice expéditive et manque de diligence
Kais Saied a toujours déploré le manque de diligence dans certaines affaires. Seulement, ce n’est pas toujours la faute à la justice. Certes il y a eu des cas, notamment dans les affaires des assassinats de chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, où les dossiers ont trainé dans les tiroirs du procureur, qui, en outre s’est comporté d’une manière partiale, selon le comité de défense des intérêts des deux martyrs, allant jusqu’à retirer certains documents du dossier afin d’occulter la vérité. Dans des affaires analogues il est donc nécessaire qu’intervienne le procureur général et le ministre de la justice en vue de mettre fin à de tels abus. Mais d’un autre côté il y a des affaires qui mettent du temps pour les besoins de la procédure tels qu’une expertise qui a semblé mal accomplie et qui a été de ce fait contestée par la partie adverse, laquelle a demandé une deuxième expertise. En matière civile il y a des affaires qui arrivent jusqu’aux chambre réunies. Ce qui veut dire qu’elles ont été présentées au moins deux fois devant la cour de cassation. Le temps judiciaire est tributaire de toutes formalités incitées par la procédure.
Fonction judiciaire et indépendance de la justice
En fait, et hormis certaines affaires très particulières, qui nécessitent que le Président de la République intervienne, cela reste du domaine des instances judiciaires, le chef de l’exécutif, n’ayant qu’un droit de regard relatif, sans exercer d’influence ou d’ascendant sur la bonne marche du service public judicaire. C’est justement du rôle du conseil supérieur de la magistrature d’intervenir et il est le plus à même de la faire, en cas de retard flagrant et inhabituel dans une affaire. Mais que peut-il lorsque le report d’une affaire est imposé par les règles de la procédure ? rien du tout quand bien même il soit mû par l’exécutif qui lui donne certaines directives.
Cependant et en vertu de la Constitution de 2022, il ne s’agit plus désormais de pouvoir, mais de fonction judiciaire. Le Président de la République n’intervient que pour mettre en exécution les jugements qui sont émis au nom du peuple. C’est donc dans le cadre de la loi qu’il peut seulement agir, autrement ce serait une ingérence qui affecte l’indépendance de la justice, principe consacré par la constitution de 2022 en ces termes « il n’y a point de pouvoir sur le juge que la loi ».
Droits et politique juridique
Le temps judiciaire n’est estimé que par rapport aux impondérables procédurales, dans chaque affaire. Kais Saied qui a toujours été préoccupé par la lenteur de la procédure, fait abstraction de ces impondérables, en exhortant le président du conseil provisoire de la magistrature d’exercer le rôle qui lui est dévolu, afin de permettre « l’accélération de l’examen d’un ensemble de pratiques pour le rétablissement des droits de chacun ». Pour lui le temps judiciaire doit être subordonné aux exigences de la politique juridique. Cependant si celle-ci est conçue par les gouvernants, la justice ne peut être appliquée que par les magistrats en vertu de la loi.
Il va sans dire que le Président de la République qui supervise la justice, en vertu de la Constitution, ne peut qu’inciter à l’application saine de la loi par l’intermédiaire des magistrats qui sont tenus de prendre le temps nécessaire afin de ne pas commettre des erreurs judiciaires ou de mauvaises applications de la loi. Il faut certes laisser le temps au temps. Mais il ne faut pas que le temps judiciaire soit au détriment du justiciable surtout en cas de justice expéditive, surtout lorsque la justice est supplantée par la politique. Le temps judiciaire est relatif, car entre une affaire qui se prolonge et une affaire jugée de façon rapide, on ne sait pas exactement où se situe la justice. Le seul repère reste la loi. Et le seul de comprendre pour pouvoir trancher en équité. Car comme l’a dit le philosophe Suisse Frédéric Amiel : « juger ce qu’on ne comprend pas est la plaire du temps » !
Ahmed NEMLAGHI