L’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a levé un coin du voile sur la réforme controversée du système des subventions. Le secrétaire général adjoint de l’organisation chargé des affaires juridiques, Hfaïedh Hfaïedh, a déclaré, hier, que les premières indiscrétions montrent que 900 000 familles seulement devraient bénéficier des transferts financiers directs.

« Les premiers indices laissent croire que 900 000 familles seulement bénéficieront des transferts financiers dans le cadre de la nouvelle approche adoptée par le gouvernement en ce qui concerne le système des subventions », a-t-il souligné lors de la réunion de la commission administrative de l’Union régionale du travail de Béja, indiquant que la centrale syndicale refuse cette approche.

Le responsable syndical a également indiqué les salariés et les couches vulnérables de la société ne sont pas les premiers bénéficiaires du système de subventions actuel.

« L’UGTT refuse la politique du fait accompli à laquelle fait appel le gouvernement. 70% des subventions vont actuellement aux entreprises, aux restaurants, aux cafés et aux hôtels », a-t-il estimé, soulignant la nécessité de faire bénéficier l’ensemble des salariés des transferts directs.

  1. Hfaiedh a d’autre part accusé le gouvernement d’avoir créé délibérément des pénuries de certains produits alimentaires comme le lait et le sucre et procédé à des hausses de prix pour pousser les citoyens à accepter l’achat de ces denrées quelque soient leurs prix.

La réforme du système des subventions se base sur la politique du ciblage qui repose sur l’idée de transférer les ressources allouées aux subventions universelles, qui profitent actuellement aux riches comme aux pauvres, vers des programmes d’aide sociale ciblant uniquement les couches les plus vulnérables de la population. Il s’agit, en d’autres termes, d’exclure les couches les plus aisés, les industriels et les hôteliers et de réserver les aides de l’Etat à ceux qui en ont réellement besoin. Cette politique de ciblage des couches nécessiteuses de la société devrait s’appuyer sur l’identifiant unique du citoyen (UIC), qui doit permettre d’établir les listes des familles éligibles aux transferts directs en connectant les bases de données des caisses sociales, de l’administration fiscale ainsi que les bases de données relatives au programme national d’aides aux familles nécessiteuses, au programme d’assistance médicale gratuite et au programme d’accès aux soins à tarif réduit. Mais c’est là où le bât blessé.  D’autant plus que l’absence d’outils statistiques faibles et le poids important du secteur informel peuvent favoriser l’exclusion de plusieurs centaines de milliers d’ayants-droit, permettre à des consommateurs plus aisés de continuer à bénéficier de droits indus, et sanctionner sévèrement la classe moyenne. Le corollaire du ciblage est en effet la hausse brutale des prix pour les catégories non ciblées, c’est- à-dire les classes moyennes qui constituent la majorité de la population et dont le pouvoir d’achat s’est largement érodé ces dernières années.

D’après un récent rapport de l’Institut tunisien des études stratégiques (ITES), les subventions des produits alimentaires de base ont permis notamment de d’améliorer l’état nutritionnel des ménages défavorisés, les subventions représentant 20,6% de la valeur totale de leur consommation alimentaire et participant à hauteur de 28,6% dans l’apport calorique total et à hauteur de 25,4% dans l’apport protéique total pour ces ménages. Elles ont également contribué à réduire de plusieurs points le taux de pauvreté dans le pays

Mais une étude de l’Institut national de la statistique (INS) a révélé que l système de subventions universelles ne profite pas uniquement aux catégories socio-professionnelles qui ont en le plus besoin. 61% des ressources allouées à ces subventions bénéficient à la classe moyenne, 9% aux ménages vulnérables et 7% aux ménages aisés, alors que 23% sont orientés à des utilisations non domestiques. Des quantités importantes de produits subventionnés sont en effet détournés au profit des industriels (satisfaction de leur besoin en matières premières : farine, semoule, huile, sucre), des prestataires de services (hôteliers, restaurateurs) et des contrebandiers. La charge de compensation additionnelle due à la contrebande vers la Libye et l’Algérie a été d’ailleurs estimée à 150 millions de dinars par an.

Walid KHEFIFI