Le monde a célébré, récemment, la campagne annuelle internationale de lutte contre les violences faites aux femmes « 16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre » qui démarre le 25 novembre de chaque année, depuis 1991, et prend fin le 10 décembre. En 2018, le secrétaire général des Nations Unies a lancé une campagne parallèle intitulée « Tous Unis, d’ici à 2030, pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes ». qui se consacre désormais chaque année à un nouveau thème. En Tunisie, la société civile, traditionnellement très active dans le domaine des droits des femmes pour ne pas dire avant-gardiste notamment en Afrique et dans les pays arabes, s’est mobilisée, pour sa part, dans cette campagne internationale, avec comme objectif phare de donner un nouvel élan à l’activisme féministe sur le plan national, sur fond de changements politiques et socio-économiques profonds que connait le pays actuellement. Tour d’horizon. 

A la veille du démarrage de la campagne, la dynamique féministe tunisienne avait annoncé le 24 novembre 2022, son boycott des activités organisées cette année dans le cadre de cette campagne par le ministère de la famille, de la femme, de l’enfant et des personnes âgées, et ce, en guise de protestation contre ce qui a été qualifié de « silence complice et faible mobilisation de l’état pour protéger les femmes victimes de violences » et l’enregistrement de 4 cas de féminicide en moins d’un mois dans différentes régions de la République récemment.  

« En moins d’un mois, 4 femmes ont été tuées dans 4 régions différentes de la Tunisie, tuées uniquement parce qu’elles étaient des femmes sous le silence suspect de l’État, et en l’absence quasi total des indicateurs et des statistiques officielles liées aux féminicides. Quatre ans se sont écoulés depuis l’entrée en vigueur de la loi contre la violence à l’égard des femmes, des femmes continuent d’être tuées en raison de l’indifférence des unités compétentes face aux risques menaçant la vie et la sécurité des victimes, de leur incapacité à bénéficier des protections prévues par la loi et du refus des juges, dans la plupart des cas, de répondre aux demandes de protection déposées par les femmes. Cinq années se sont écoulées depuis l’énonciation de la loi que l’État célèbre dans des forums et des événements et ne l’applique pas sur le terrain pour lutter contre le crime de violence sexiste, à cause duquel les femmes sont tuées et oubliées », lit-on dans le communiqué publié par la dynamique féministe.

Et d’ajouter : « Face à l’inaction de l’État et au silence injustifié, la dynamique féministe annonce son boycott des activités du ministère de la famille, de la femme, de l’enfant et des personnes âgées programmées dans le cadre de la campagne internationale des 16 jours de lutte contre la violence à l’égard des femmes, pour protester contre le silence complice et la faiblesse des actions pour protéger les femmes victimes de violences ». A noter que la dynamique féministe comprend l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), l’Association Femmes et Citoyenneté El Kef, l’Association Aswat Nissa, le groupe Tawhida Ben Cheikh, l’Association Joussour El Kef, l’Association des Femmes Tunisiennes pour la Recherche sur le Développement (AFTURD), l’Association Amal pour la mère et l’enfant, l’Association Beity et l’Association Calam. 

16 jours, 16 revendications 

Dans le même contexte, la dynamique féministe a présenté 16 revendications tout au long de ces 16 jours. Datant du 2 décembre 2022, la 6ème revendication avait exigé la mise en place d’une « batterie d’indicateurs uniformisés sur la violence conjugale et les moyens de les collecter ». Publiée durant la même journée, la 5ème revendication était autour de l’importance d’assurer « une réponse rapide et efficace du juge de la famille quant aux demandes de protection conformément aux procédures d’urgence tel que stipulé dans l’article 32 de la loi 58 ». 

D’autre part, les 8ème et 9ème revendications, présentées le 04 décembre courant, ont appelé à « augmenter les moyens humains en particulier de sexe féminin et matériels des unités spécialisés de la police et la garde nationale » et à « mettre en place des permanences (nuits, weekend et jours fériés) pour les unités spécialisées de la police, de la garde nationale et les délégations de protection de l’enfant ». 

La dynamique féministe a appelé, en outre, à : opérationnaliser le numéro vert (1899) destiné à l’écoute et l’orientation des femmes et d’enfants victimes de violence « 24h / 24h et 7 jours / 7 » et à « établir des programmes de formations destinés aux différentes parties intervenantes (magistrats et forces sécuritaires) autour des spécificités des violences conjugales et l’évaluation des risques dans des situations relatives à cette question ». 

En discutant les questions relatives à la violence basée sur le genre et des violences faites aux femmes, beaucoup tiennent à noter que les violences psychologiques ne sont pas moins dangereuses que les violences physiques et corporelles.  

Interrogée par le Temps News, la psychologue clinicienne Hanen Fkih a affirmé que toute manipulation, emprise, rabaisse ou insulte s’inscrit dans le cadre de la violence psychologique ou morale. « D’après les expériences que j’ai témoignées et les femmes victimes de violence que j’ai rencontrées, ce qui est vraiment difficile à cet égard, c’est que la violence psychologique est difficile à prouver et à mettre en évidence, que ce soit pour la victime ou pour son entourage. Et d’après la logique dominante, la violence s’agit forcément de l’agression physique et tout autre comportement ne peut pas être considéré comme violence.. D’ailleurs, la chose la plus fréquente que j’ai remarquée, c’est que ce genre de violence est toujours sous-estimé. Sinon, il est très important d’établir un passage vers la reconnaissance de l’entourage de la victime, de la famille, des spécialistes (psychologues) et accompagnants (associatifs ou autres) », a-t-elle expliqué en soulignant que ce phénomène « est aussi relatif aux représentations sociales et culturelles » qui obligent les femmes à continuer dans des relations caractérisées par ce genre de violence sous les prétextes de « la nécessité de sacrifier pour maintenir et protéger la famille ». 

Violence politique à l’égard des femmes

Interviewée par le Temps News, l’activiste politique et militante féministe Jawaher Channa a indiqué, pour sa part, que la violence politique exercée à l’encontre des femmes est purement intellectuelle et relative à toute une école de pensée. « Ayant toujours exclu les femmes de l’action politique, le patriarcat a été continuellement et fortement présent. Ce fait lié au pouvoir, a fait de la politique l’apanage des hommes pendant des centaines d’années, et c’était toutes fois pareil quant à la présence à l’espace public. D’ailleurs le droit de vote et le droit de se présenter aux élections font partie des acquis réalisés par le mouvement féministe au cours du dernier siècle dans la plupart des pays. Sur la base de cette historique, la femme est considérée comme « nouvelle venue » sur la scène politique et malgré le changement des catégories au sein des organisations politiques (surtout les structures de gauche) et malgré les slogans de l’égalité entière et effective, les pratiques patriarcales sont restées fortement présentes au niveau de la mentalité et à travers l’influence de la société sur les partis politiques. »

Et d’ajouter : « Les chances des femmes sont toujours inférieures à celles des hommes et même les conditions offertes ne sont pas équitables. Moi, par exemple, je suis maman de deux enfants et il m’est difficile de concilier travail, responsabilité maternelle et activité politique. Je parle toujours d’expérience personnelle dans des organisations politiques qui se disent favorables à la participation des femmes, et pourtant, on ne prend pas en considération les circonstances particulières des mamans en organisant par exemple des réunions qui durent 5 dans des espaces « hostiles » à la famille et aux femmes. Et alors que l’homme peut toujours avancer et passer à des postes supérieurs, la femme se retrouve bloquée par un ensemble d’engagements qui contribue petit a petit à diminuer son accessibilité à la vie politique. »

Rym CHAABANI