Depuis sa parution dans le JORT, le décret-loi n°54 relatif à la lutte contre les infractions relatives aux systèmes d’information et de communication a suscité un tollé de mécontentement et plusieurs campagnes appelant à son retrait. Différentes composantes de la société civile ont considéré, dans ce sens, qu’il s’agit d’un ensemble de « formulations et dispositions vagues et ambiguës, portant atteinte directement à la liberté d’expression ». Encore récemment, les poursuites engagées en vertu de cette loi contre un certain nombre d’activistes, avocats et journalistes ont attisé le refus et la colère de nombreuses forces vives civiles et politiques. Au-delà de la dénonciation et des appels au retrait de ce décret, certains organismes, notamment le Lab politique 117, se sont dirigés vers l’analyse et l’observation continue de l’application de cette loi largement controversée.  

Interviewée par le Temps News, Ines Jaibi, avocate et directrice du projet « Lab Politique 117 » affilié à l’association « Hope Makers », estime que le décret-loi n°54 est basé sur un texte « très général et vague » comprenant des dispositions et des formulations « incongrues », selon ses dires. « D’après l’opération d’observation menée par notre équipe, cette loi a ciblé, jusqu’à présent, des personnes ayant critiqué les politiques publiques ou la situation générale du pays. Ce sont des activistes, des jeunes, des opposants politiques, des avocats et des journalistes », a-t-elle expliqué, précisant que la première application de cette loi était dans le cadre du procès de l’étudiant Ahmed Baha Eddine Hamada. 

L’article 24 de cette loi serait le plus problématique, à en croire Ines Jaibi : « Il faut admettre que lorsqu’on parle de crimes et d’accusations pouvant restreindre la liberté humaine, le facteur de la clarté devient nécessaire. Autrement dit, le crime et l’infraction devraient être définis avec une grande précision et non pas en termes vagues et généraux. Et ce, conformément aux principes, critères et dispositions de tout un ensemble de normes juridiques internationales. Dans l’article 24 du décret-loi 54, on trouve plusieurs expressions floues et indéfinies. On ne sait même pas, par exemple, sur quelles bases les informations sont classées comme fausses. Un article d’opinion ou un éditorial peut-il être classé ou considéré comme une rumeur ou fausse information ? Le manque de réponses à des questions pareilles s’avère très problématique lorsqu’il s’agit d’appliquer cette loi. »

Ce qui est encore plus grave selon Jaibi, c’est que le décret 54 contient certaines expressions tout aussi vagues mais beaucoup plus « dangereuses », à l’instar de « répandre la terreur parmi la population » et « porter atteinte à la sécurité et la sûreté publique ». « Des dispositions qui pourraient ouvrir la voie à des procès en vertu d’autres lois pour des accusations beaucoup plus graves », s’alarme l’avocate. 

« Il est est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de cinquante mille dinars quiconque utilise sciemment des systèmes et réseaux d’information et de communication en vue de produire, répandre, diffuser, ou envoyer, ou rédiger de fausses nouvelles, de fausses données, des rumeurs, des documents faux ou falsifiés ou faussement attribués à autrui dans le but de porter atteinte aux droits d’autrui ou porter préjudice à la sûreté publique ou à la défense nationale ou de semer la terreur parmi la population », selon les dispositions de l’article 24 du décret-loi n°54

Inès Jaibi a assuré, par ailleurs, au Temps News, que l’équipe du projet « Lab 117 » est en train d’effectuer un inventaire des dossiers présentés devant la justice en vertu du décret-loi n°54, soulignant qu’une conférence de presse sera organisée dans les jours qui viennent pour présenter à l’opinion publique un rapport détaillé autour de cette affaire et de ses répercussions. 

Rym CHAABANI