L’amnistie concernant les chèques sans provisions (annoncée par décret du mois de février 2022 et courant jusqu’au 31 décembre 2022) n’a pas l’air d’avoir réglé ce problème épineux. Pire : le chiffre a progressé, ce qui veut dire qu’on a tourné dans un cercle vicieux. Comme par le passé.
En fait, on parle de plus en plus de dépénalisation totale du chèque sans provision. Ce qui revient à lui conférer un caractère civil et non plus pénal. Parce que, d’un côté comme de l’autre, les dégâts sont importants. Saignée pour l’économie nationale, faillite de milliers de PME et six mille personnes en prison…
Un chèque est dit sans provision lorsque le solde du compte bancaire est insuffisant pour payer le bénéficiaire, lit-on sur le site officiel de l’Association professionnelle de Banques de Tunisie (APBT). Le taux de rejet des chèques en Tunisie a progressé de 17,7 %, au 1er semestre 2022. Plus de 2 millions de chèques représentant un montant de 1,4 milliard de dinars ont été rejetés, sur un total de 12 millions de chèques (56 milliards de dinars), selon un rapport de la Banque centrale en Tunisie publié en septembre 2022. Environ 6 mille personnes sont actuellement détenues dans les prisons pour leur implication dans des affaires de chèques sans provision, avait indiqué le président de l’Union Tunisienne des PME, Khamis Ifa, lors de son intervention sur les ondes de « Jawhara FM » le 23 décembre 2022.
Confusions et interprétations
Khamis Ifa ajoute que le nombre des affaires liées à des chèques sans provision jusqu’à mars 2020 a atteint environ les 4 millions. Selon la même source, la valeur totale des chèques sans provision a atteint, durant les neuf premiers mois de l’année 2022, 2,2 millions de dinars. La publication du Décret-loi n° 2022-80 du 30 décembre 2022, portant prorogation du délai du règlement prévu par le décret-loi n° 2022-10 du 10 février 2022 relatif à l’amnistie des infractions d’émission de chèques sans provision défraie la chronique depuis plus d’une semaine. Certains l’ont mal interprété et ont cru que ce décret-loi donnait une lueur d’espoir aux accusés dans des affaires en relation avec les chèques sans provision. C’est que le terme « amnistie » prête à équivoque. On pense tout de suite à la dépénalisation du chèque sans provision. Des chefs d’entreprises, en contrepartie, n’ont pas hésité à exprimer leur ras-le-bol dans les statuts sur les réseaux sociaux. Ils veulent bénéficier de l’amnistie totale c’est-à-dire l’élimination de toute sanction pénale, ainsi que les amendes.
A noter que selon le décret susmentionné , est prorogé le délai du règlement correspondant au 31 décembre 2022, prévu par les articles premier et 2 du décret-loi n° 2022-10 du 10 février 2022 relatif à l’amnistie des infractions d’émission de chèques sans provision, jusqu’au 31 décembre 2023.
D’après le décret-loi n° 2022-10 du 10 février 2022 l’amnistie est accordée à toute personne, ayant émis un chèque sans provision et a été établie à son encontre, avant la date de la publication du présent décret-loi au Journal officiel de la République tunisienne, un certificat de non-paiement ou un protêt pour défaut de paiement au domicile de l’établissement bancaire, et a procédé avant la date du 31 décembre 2022 à ce qui suit :
La reconstitution de la provision auprès de l’établissement bancaire tiré au profit du bénéficiaire ou de sa consignation pour le compte de ce dernier à la Trésorerie générale de Tunisie et de produire que la notification en a été faite ou que le règlement intégral du montant du chèque a été fait par écrit ayant date certaine ou par acte authentique.
Le paiement des frais de notification à l’établissement bancaire tiré ou les frais du protêt pour défaut de paiement dressé au domicile de l’établissement bancaire ainsi que les frais de notifications au bénéficiaire ou sa consignation à la Trésorerie générale de Tunisie.
D’après le décret-loi du 22 février 2022 , « est amnistiée toute personne ayant fait l’objet de poursuites judiciaires auprès des tribunaux quelles que soient leur degré ou ayant fait l’objet d’une condamnation pour émission de chèque sans provision avant la publication du présent décret-loi au Journal officiel de la République tunisienne et ayant procédé à l’accomplissement des dispositions prévues par les paragraphes 1 et 2 de l’article premier du présent décret-loi, et ce, avant la date du 31 décembre 2022, lit-on dans le deuxième article. Et d’ajouter que l’amnistie ne préjudicie pas aux droits des tiers, notamment de la partie civile. Elle ne s’applique ni aux frais de justice même non recouvrés, ni aux confiscations exécutées, ni aux amendes recouvrées, lit-on dans le décret susmentionné. »
Sous la loupe du code de commerce
Selon l’article 411 du code de Commerce, est puni d’un emprisonnement pour une durée de cinq ans et d’une amende égale à quarante pour cent du montant du chèque ou du reliquat de la provision à condition qu’elle ne soit pas inférieure à vingt pour cent du montant du chèque ou du reliquat de la provision :
Celui qui a, soit émis un chèque sans provision préalable et disponible ou dont la provision est inférieure au montant du chèque, soit retiré après l’émission du chèque tout ou partie de la provision, soit fait opposition auprès du tiré de le payer en dehors des cas prévus à l’article 374 du présent code,- celui qui, en connaissance de cause, a accepté un chèque émis dans les conditions visées à l’alinéa précédent.
Celui qui a aidé sciemment, dans l’exercice de sa profession, le tireur du chèque, dans les cas visés à l’alinéa premier ci-dessus, à dissimuler l’infraction soit en s’abstenant de procéder aux mesures que la loi prescrit de prendre, soit en contrevenant aux règlements et obligations de la profession.
D’après le même article, est passible de 10 ans d’emprisonnement et d’une amende de 12000 dinars sans qu’elle puisse être inférieure au montant du chèque ; celui qui a contrefait ou falsifié un chèque ou celui qui, en connaissance de cause, a accepté de recevoir un chèque contrefait ou falsifié.
La banque centrale de Tunisie tient un registre spécial relatif aux chèques sur lequel sont portées toutes les notifications de non-paiement, les protêts, les interdictions d’usage des formules de chèques, les violations de ces interdictions, les jugements rendus en la matière et toutes notifications relatives à la régularisation, la clôture des comptes ainsi que toutes informations y afférentes recueillies par ses services et qu’elle doit communiquer à tous les établissements de crédit soumis à son contrôle en leur donnant les instructions à ce sujet, et ce, dans un délai ne dépassant pas deux jours ouvrables, à compter de la date de leur réception. La Banque Centrale de Tunisie est habilitée à contrôler la bonne application des dispositions de la présente section du code, à en constater les violations et en informer les autorités compétentes, lit-on dans l’article susmentionné.
En fait, au-delà des dispositions légales datant de l’ère Mzali, il y a eu des assouplissements et des amnisties conditionnées au paiement du chèque. Mais les résultats furent plutôt maigres. Que faut-il ? Une totale refonte des articles 410 et 411 du code du commerce ? Là , c’est l’affaire du législateur. Tout en pesant le pour et le contre.
Ghada DHAOUADI