A chacun sa « position », à chacun sa marotte : des politiques bien trop dispersés (dans l’attitude et dans l’espace). En face, une société civile mieux organisée, plus crédible. C’est ce qui ressort, en premier lieu, après cette journée de commémorations. Plusieurs rassemblements distincts ont eu lieu ainsi ce samedi 14 janvier 2023 dans la capitale Tunis pour commémorer le 14 janvier, une date revendiquée par des centaines voire des milliers de manifestants pour célébrer la révolution de 2011. Sur fond d’indifférence populaire, presque sans précédent en ce 12ème anniversaire, les rues et avenues du centre-ville de Tunis ont été investies, d’un côté, par des politiques sortis essentiellement pour manifester leur opposition contre le président Saïed, et, d’un autre côté, par plusieurs activistes de la société civile, descendus plus pour défendre des valeurs et des acquis, sur fond d’inquiétudes croissantes sur le présent et l’avenir des droits et libertés en Tunisie, notamment après les récentes poursuites en vertu du très controversé décret 54. Tour d’horizon sur cette journée de commémoration qui a réussi, en somme, à mobiliser les sphères politiques et activistes, sans sembler pouvoir intéresser pour autant une grande partie de la population, qui, en pleine crise socio-économique profonde, a décidément la tête ailleurs…
Côté politiqué, la coordination des partis sociaux-démocrates composée d’Attayar, Ettakatol, Al Joumhouri, Al Kotb et le Parti des travailleurs, a organisé une manifestation devant le Théâtre Municipal de Tunis. Différentes personnalités politiques ont été présentes sur les lieux, notamment Hamma Hammami, Nabil Hajji, Samia Abbou et Hichem Ajbouni. Hamma Hammami a déclaré, à l’occasion, que « Kais Saied subira le même sort que Ben Ali » en soulignant que « sa fin sera soit la fuite à l’étranger, soit la prison ».
Parallèlement, les sympathisants islamistes du Front de Salut se sont dirigés du passage vers l’avenue Habib Bourguiba malgré l’interdiction du gouverneur de Tunis. Des partisans d’Ennahdha et du Front de Salut ont également levé des slogans solidaires avec Ali Larayedh et d’autres slogans critiquant d’autres affaires à l’instar de la hausse des prix.
Après avoir été empêchés de prendre le train de banlieue vers le Palais présidentiel, les PDListes ont décidé, pour leur part, de manifester devant le siège de l’Union Internationale des Savants Musulmans situé à l’avenue Kheireddine Bacha de Tunis, avant de décider de « prendre le train onze » et marcher vers Carthage.
Côté société civile, un rassemblement de commémoration s’est tenu devant le siège du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) où différents représentants d’organisations, associations et mouvements sociaux ont été présents et ont levé un ensemble de slogans liés principalement aux droits et libertés, aux causes de femmes, et à d’autres questions sociales, économiques et politiques. Les participants et les participantes à ce rassemblement organisé par un nombre d’organisations nationales, précisément le SNJT, le FTDES, l’ATFD et la LTDH, ont décidé ensuite de lancer une marche vers l’avenue Habib Bourguiba. Une partie des familles des martyrs de la révolution ont aussi participé à cet événement.
Durant ce rassemblement, le président du Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT), Mohamed Yassine Jelassi, a indiqué que « rien ne peut arrêter la lutte pour défendre les acquis et les revendications de la révolution, y compris le décret n°54. « Nous ne craignons pas la stigmatisation au motif que nous intervenons en matière politique. La société civile défend ses convictions et ses principes et se mobilise ouvertement et publiquement sur le terrain, devant les caméras et à la vue de tout le monde », a-t-il ajouté.
Pour sa part, la présidente de l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD), Neila Zoghlami a mentionné que « les droits des femmes sont au cœur de la politique et que la cherté de la vie et la pression que la loi de finances comprend sont aussi au cœur de la question politique ». Et d’ajouter : « Nous voulons que ce rassemblement soit un message clair à l’autorité et à Kais Saied… Nous voulons dire à Kais Saied que le boycott des élections enregistré récemment par les femmes a représenté une dure leçon au nom des femmes ouvrières, les ouvrières agricoles et de toutes les catégories de femmes… Société civile, partis, forces démocratiques, individus, femmes, militantes et militants, nous allons tous défendre le fait que la rue est la nôtre…».
Lors d’une déclaration accordée au Temps News, le président de la Ligue Tunisienne pour la Défense des Droits de l’Homme (LTDH), Bassem Trifi, a noté que la Ligue a participé avec les autres organisations nationales à cette commémoration pour mettre l’accent sur l’attachement à tous les acquis réalisés grâce à cette révolution. « Cet anniversaire nous est cher et nous avons engrangé de nombreux acquis, notamment la liberté d’opinion et d’expression et la liberté de rassemblement et de manifestation pacifiques. Le décret n°54 représente, aujourd’hui, une parmi plusieurs initiatives visant à supprimer ces acquis et est un outil . Mais nous tenons à défendre cet ensemble d’acquis et nous sommes déterminés à réaliser plus de d’acquis en faveur de la Tunisie et des droits et les libertés », a expliqué Trifi qui a affirmé, entre autres, que certains moyens de transport ont été empêchés de transporter des manifestants dans les régions sous prétexte de « pannes techniques ».
Il convient de noter, à cet égard, que la Ligue Tunisienne pour la Défense des Droits de l’Homme a chargé une équipe composée des membres de son comité directeur et de ses comités régionaux, d’observer le déroulement des différentes protestations et manifestations prévues se tenir dans le cadre de la commémoration du 14 janvier à l’avenue Habib Bourguiba et ses alentours, et ce, dans le cadre de prévision de toute atteinte des droits humains possible. Dans le même contexte, un numéro et une plateforme destinés au signalement de tout dépassement ont été publiés par la LTDH sur sa page Facebook officielle. Pour sa part, l‘association Intersection pour les droits et les libertés a mis à la disposition de tous ceux qui participent aux manifestations commémoratives du 14 janvier deux numéros consacrés aux signalements des potentielles violation du droit de manifester ou au rassemblement pacifique. Ces numéros sont affichés sur la page Facebook officielle de l’association.
Rym CHAABANI