Par Raouf KHALSI

Un philosophe a dit que les hommes ressemblent au cœur céleste et que leur influence s’étend partout. Bourguiba et de ceux-là. Sauf que ce n’est pas le pouvoir qui a forgé sa personnalité : c’est lui qui a forgé le pouvoir. Il ne fut pas vraiment un président de la République qu’il a lui-même fondée. Ce fut le monarque présidentiel par excellence. Un peu le Roi soleil de chez nous : visionnaire, percutant avant le naufrage de l’âge ; il créait une Nation à partir de rien ; il construisait pierre après pierre un Etat-Nation dont il n’était plus le président, mais le Zaïm.

Le 6avril 2000, l’homme « éternel », l’homme essentiel autour duquel aura gravité le destin de la Tunisie, quittait ce monde cet « ici-bas », tout pressé de camper confortablement dans « l’entre-deux » : le Bourguiba reposant dans un mausolée construit pour la postérité ; et le Bourguiba qui plane quoi qu’on ait fait pour l’enfermer. C’est que le Zaïm est une véritable hantise. On a toujours peur de son jugement. Parce qu’à chaque fois, nous reportons la réponse à la question qu’il nous assène chaque jour : « Qu’avez-vous fait de la République que je vous ai léguée ? »

Oui, une République qui devient amnésique. Verrouillée par son successeur, elle a été dépecée après la révolution. Révolution ? Mais Bourguiba l’avait faite, juste en construisant l’ Etat moderne, juste en libérant la femme des carcans rétrogrades, juste en généralisant l’enseignement gratuit et obligatoire pour tous, juste en construisant des barrages, juste encore en jetant les bases de la Santé publique. Juste ça. Et l’auréole internationale qui a fait que les Tunisiens étaient bien accueillis là où ils allaient de par le monde ? Sa dimension est internationale. Vision géostratégique infaillible, jonglant sur des cordes périlleuses il adorait éberluer le monde, comme à Jéricho, ou comme dans ce fameux discours où il prévoyait que Vodka et Coca Cola se mélangeraient, ce qui signifie la fin des blocs.

Candidat à l’immortalité ? Pas évident. Il espérait néanmoins la permanence post-mortem de sa pensée, de son orthodoxie, de son ascétisme aussi. Qu’avons-nous fait, qu’a fait le système qui l’a déboulonné ? Un captif. Et, à le fin, un reportage sur les oiseaux alors que se déroulaient ses obsèques. Parce que, même mort, il fait peur. Et pour ceux qui ont grandi à son ombre, c’est la plus belle des hantises. Il reste le refuge et la source.