Par Hédi CHERIF, sociologue

 Depuis des années, par ses feuilletons ramadanesques ‘’ Maktoub, Baraa, , El Fallujah ‘’ .. etc , la chaîne de télévision El Hiwar Ettounsi n’a cessé de démasquer les visages d’une société en plein mutation. Cette année, la même chaîne avec son savoir-faire artistique en la personne de Sawssen Jemni réalisatrice du feuilleton El Fallujah, a encore osé avec beaucoup de finesse et de délicatesse de chatouiller ‘’un consensus social‘’ culturellement comorbide, moralement hégémonique, et symboliquement hermétique.

En terme anthropologique, ce consensus social est synonyme d’un ensemble d’idées de valeurs de croyances, de sentiments, et de comportements acquis transmis et partagés par les membres d’une société. Il détermine en nous un système de pensés et de valeurs , le tout  bien ancré , dans chacun de nous, dans la conscience individuelle et collective, voire même dans notre patrimoine génétique  au titre d’une  culture sociale , transmise de génération à une autre, est souvent reproduite  dans toutes ses formes d’inégalités légitimées , tels que (la suprématie masculine, mode de vie féminin/masculin, l’instruction, les orientations sexuelles, culturelles sociales et artistiques, les étapes de la socialisation et du développement personnel…)

  Ce même consensus puise son sens, tout comme son pouvoir hégémonique dans un héritage socioculturel androcentrique du masculin, un héritage sur lequel aucune loi , aucune thérapie, aucune œuvre d’art ne peut agir efficacement et réellement . Mieux encore, cet héritage , est en profondeur bien chargé de mythes, de proverbes, de dictons et de métaphores qui incarnent la domination masculine, pervertissent l’inconscient du tunisien , et structurent sa perception négative des rapports masculin/féminin et surtout de la femme‘’.

El Fallujah, un feuilleton meublé de scénarios bien ciblés et inspirés d’une réalité sociale comorbide, masquée, et bourrée de phénomènes sociaux, multiples tels que l’usage des drogues en milieu scolaire, la sexualité, le viol, la grossesse en dehors du mariage , le conflit des générations, la gestion pédagogique des classes d’élèves, la parentalité, la fraude en milieu scolaire, la commercialisation de l’enseignement sous le regard d’un pouvoir lui-même corrompu, souvent avec une complicité parentale, la corruption pédagogique,  l’extrémisme, etc……des faits , souvent étouffés, occultés pire encore illégalement résolus comme ( l’avortement illégal ) , de peur d’un consensus social hégémonique et surtout pour préserver le monopole de la vertu et de la notoriété de la famille. Les Tunisiens ont beaucoup plus peur du consensus social,  c a d de ‘’ ce que les gens disent  de nous ‘’,  ‘’ Ech ikoulou aalina Enness ‘اش يقولو علينا الناس  que de Dieu .

Dans ces mêmes scénarios, Sawssen Jemni ,la réalisatrice du feuilleton El fallujah,   retrace les traits d’une anomie sociale dans une société en pleine mutation marquée par une absence des normes sociales régulatrices , par une ruralisation socioculturelle des grandes villes , génératrice de toutes formes de violences chroniques .

  Cette œuvre artistique ‘’El Fallujah’’ se présente comme un miroir d’un petit ‘’ ordre socioculturel  ‘’ en phase d’installation discrète et forcée, malgré les vagues de stigmatisations populaires insensées, de critiques médiatiques mal fondées , et les réactions officielles à actualiser ,comme celles ,  du ministre de l’éducation nationale Mr Boughdiri , ou celle du secrétaire général du syndicat de l’enseignement secondaire Lassaad Yacoubi

Le feuilleton ‘’El fallujah’’, est une œuvre artistique, qui chatouille la conscience individuelle et collective. Elle nous invite toutes et tous et chacun de son côté, à :

         _ Se remettre en question à s’auto-évaluer et à quitter sa bipolarité culturelle pathologique, nourrie et commandée tantôt par ‘’ l’être ‘’ tantôt par le ‘’ paraitre’’.

         _ A mettre en œuvre notre empathie, pour mieux opérer dans une culture de différence

         _ A tendre à nos jeunes la main droite celle du soutien et de l’empathie, et la main gauche celle du cœur , celle de l’affection et de l’amour pour arriver à tisser de part et d’autre et en fils d’acier,  un maillon intergénérationnel qui fait encore défaut .

L’œuvre d’art ‘’ El Fallujah ‘’, s’il a fait couler beaucoup d’encre et était souvent l’objet de critiques et de préjugés, demeure une œuvre riche en enseignements .Quant aux sons de cloches officiels et populaires venant de tous bords, se dégage un parfum de démocratie très éphémère . Elle demeure, elle aussi, une œuvre d’art à faire.