Par Hédi CHÉRIF (sociologue)

Partout dans le monde, la question de la stigmatisation, et de la prise en charge de la maladie mentale, était depuis longtemps, au cœur des débats, et des investigations scientifiques pluridisciplinaires. Psychiatres, psychologues, sociologues, philosophes… s’y sont souvent intéressés pour neutraliser les freins aux projets de déstigmatisation socio- culturelle et médico-pharmaceutique, qui tarde encore à se faire et à venir pour des raisons diverses.

La manière dont elle est posée, débattue et traitée par les organismes nationaux et internationaux, est aujourd’hui fort contestée, et controversée, malgré les acquis réalisés dans le domaine de la santé mentale, en matière de droits aux soins, et à l’insertion socio -professionnelle .

Sociologiquement parlant, la stigmatisation est une parole, ou une action menant à transformer une déficience, une incapacité, ou un handicap, en une marque négative qui affecte la personne. Elle est aussi un blâme, et une mise à l’écart d’un individu, ou d’un groupe d’individus, du fait de leurs caractéristiques, ou de leurs croyances, perçues comme allant à l’encontre des normes culturelles de la société dans laquelle la personne évolue.

Le sociologue Ervin Goffman, notait dans son livre intitulé « Les usages sociaux du stigmate 1963 » que la stigmatisation, est une « construction sociale » qui s’inscrit dans un processus socioculturel historiquement complexe. Elle varie amplement dans le temps, et dans l’espace, elle change de forme d’expression et de contenu, et elle tire sa détermination, tout comme son sens du milieu auquel elle appartient, et du processus historique dans lequel elle s’inscrit, et évolue. Parmi les exemples de personnes fortement stigmatisées, les mères célibataires, les enfants abandonnés et sans soutien familial, les porteurs d’handicap physique ou mental, les maisons de tolérances, les homosexuels, etc.

La stigmatisation de la maladie mentale semble connaître un nouveau sort, celui du passage de l’état de « construction sociale » à celui de la « construction médicale », puisqu’elle a toujours été insérée entre les formes de rejet et les stratégies de prise en charge.

A. Frances, psychiatre, professeur émérite à l’université Duke USA et ancien responsable du DSM IV (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux et des troubles psychiatriques), dans son livre « Sommes-nous tous des malades mentaux : le normal et le pathologique » publié en 2013, tire la sonnette d’alarme, lors de l’apparition de la nouvelle version augmentée du DSM V (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux et des troubles psychiatriques) pour dire : « Cessons de surmédicaliser les vicissitudes de la vie humaine ». Il considère que l’ajout de nouveaux diagnostics, et l’abaissement de certains seuils ont pour fâcheuse conséquence d’augmenter considérablement la proportion de gens susceptibles de recevoir des diagnostics psychiatriques et d’être inutilement stigmatisés. Dans une étude, publiée dans la revue « Public Libraiy of science », le même auteur révèle que 69% des 141 experts, qui travaillent à la révision du DSM, entretiennent des liens financiers avec une industrie pharmaceutique qui ne cesse de médicaliser nos émotions.

Prise en tenaille entre un milieu social qui construit sans cesse la stigmatisation de la maladie mentale et un milieu médico-pharmaceutique accusé de faire médicalement autant, la santé mentale continue à être stigmatisée dans sa totalité. Comment transformer la perception négative de la maladie mentale en une reconnaissance positive du stigmatisé ? Comment tendre à tous ceux qui marginalisés ou stigmatisés, la main droite et celle du cœur pour les réinsérer ? A nous tous, au titre d’acteurs sociaux de bien apprendre à fonctionner dans la culture de différence.