Par Raouf Khalsi
Corps en décomposition avancée repêchés en mer ; morgues à Sfax où s’amoncellent les cadavres, bien au-delà de leur capacité ; cimetière aménagés pour enterrer les immigrés inconnus : la situation est tout simplement dramatique.
C’est que durant toute une décennie, les pouvoirs publics n’ont pas su prendre la dimension d’un phénomène qui prend aujourd’hui des proportions difficiles à dompter.
Au fait, on s’était accommodé tant bien que mal de ce fléau. Le rush des Subsahariens, rendu possible par des frontières poreuses avec la Libye, pose d’abord un problème de conscience. Ils sont sur notre territoire, ils font face à une honteuse vague de xénophobie. Mais au-delà de ces relents de ce racisme enfoui, parfois presque eugénique, ils sont tout aussi tenus de respecter les lois du pays. La Tunisie n’a jamais prôné le grand remplacement. Mais elle ne saurait indéfiniment regarder, impassible, les prémices d’une authentique bombe démographique.
Les immigrés subsahariens savent parfaitement que la Tunisie n’est pas l’eldorado. Parce qu’en dehors des 5396 résidents légaux (dont 5030 étudiants), les 21 471 en situation irrégulière sont en Tunisie juste parce qu’ils la considèrent comme étant un pays de transit vers l’Europe. C’est leur objectif premier et absolu. Que faire ? Les refouler vers leurs pays d’origine ? Régulariser leur situation ? Les considérer comme étant des réfugiés ? Situation inextricable.
Nous sommes loin des incantations enchanteresses de Jean Paul Sartre lorsqu’il parlait d’Orphée noir. Parce que les couleurs finissent par se repousser mutuellement. Parce que les vagues de la Méditerranée centrale ne sont pas plus clémente avec une couleur de peau par rapport à l’autre.
17 kilomètres en mer pour rejoindre Lampedusa. Mais ça reste la traversée de la mort.
Nos amis italiens ont décrété un état d’urgence sur l’immigration. Sur ce plan, jamais question n’a autant rapproché les deux pays que ce drame. L’Italie paie aussi la Tunisie pour que cette dernière continue d’assumer son rôle de gendarme de la Méditerranée centrale. Pas trop cher payé, dit-on, et Youssef Chahed qui y a vu un triomphe personnel, en sait quelque chose. L’Italie propose même de prendre à sa charge la formation de 5000 Tunisiens. Mais l’Italie se démène, la France à un degré moindre, pour infléchir un appui substantiel à la Tunisie de la part de l’Union Européenne. Un retour de flamme en fait. Parce que l’Italie n’entend pas nous donner des leçons de démocratie. Macron lui-même lâche du lest.
Or, cette question de l’immigration non-règlementaire devrait dépasser le cadre bilatéral. C’est aussi une carte à jouer aux mains de l’Etat tunisien. Parce qu’il n’y a pas que les Subsahariens qui soient dans la balance. Parce que la diaspora tunisienne à l’étranger est de l’ordre de 1, 2 millions, dont beaucoup de sans-papiers. Et ils sont maltraités par l’Occident humaniste, celui-là même qui s’est acharné sur Kais Saied quand celui-ci mettait le doigt sur la plaie, le 21 février dernier, en ce qui concerne les immigrés subsahariens.
Seul un dialogue Nord-Sud pourrait concevoir une éthique, mais aussi des mécanismes pour la mobilité humaine, essence même de l’Homme. Ne nous divertissons surtout pas à échafauder des théories sur les oscillations raciales et ethniques. Ça c’est le dada de l’Amérique…