Le corps judiciaire est entré en période de vacances jusqu’au 15 septembre 2023 et pourtant, le mouvement judiciaire au titre de l’année 2022/ 2023 n’a pas encore été annoncé. Ce qui constitue, selon les structures judiciaires, telles que le Conseil national de l’association des magistrats tunisiens (AMT), « un précédent grave dans l’histoire de la magistrature tunisienne, qui a privé les magistrats de leur droit à la mutation, à la promotion, ainsi qu’à occuper des postes judiciaires ».De son côté, la section régionale de l’Ordre des avocats à Gafsa a critiqué dernièrement « le retard de l’annonce du mouvement judiciaire concernant l’année 2023/2024, et la perturbation des services judiciaires qui pourrait en résulter dans certains tribunaux, notamment le Tribunal de première instance et la Cour d’appel de Gafsa .
Elle a ainsi, appelé le Conseil supérieur provisoire de la magistrature et le ministère de la Justice, « à accélérer l’annonce des résultats du mouvement judiciaire, de manière à assurer la bonne marche du service public, soulignant la résolution de la section, à pourvoir les postes vacants dans nombre de tribunaux à Gafsa et à Tozeur ». En effet, le Tribunal de première instance de Gafsa est sans procureur depuis maintenant deux ans et sans président depuis presqu’un an. Plusieurs autres postes à la Cour d’appel de Gafsa restent inoccupés. Ce qui cause une certaine défaillance dans le secteur de la justice, et affecte sa continuité.
Des causes dues à la remise en cause du secteur judiciaire ?
En fait, les causes de ce retard sont aussi bien d’ordre administratif que juridique. Il s’est ressenti depuis l’intervention du Président de la République, sur le secteur judiciaire, en commençant par la dissolution du conseil supérieur de la magistrature en février 2022 et de son remplacement par le conseil provisoire. Il y a eu également la révocation en juin 2022, de 57 magistrats, dont notamment l’ancien premier président de la Cour de Cassation, l’ancien président du conseil supérieur de la magistrature, l’ancien procureur de la République, l’ancien doyen des juges d’instruction et un magistrat ancien directeur général des douanes. Un véritable séisme dans le secteur judiciaire qui devait avoir des conséquences sur son devenir. Ce qui prendra un bon bout de temps afin de remettre les choses en place. D’autant plus que les magistrats révoqués ont intenté entre temps une action devant le Tribunal administratif, qui a décidé de suspendre le décret les révoquant, mais qui ne s’est pas encore prononcé sur le fond. En attendant l’arrêté du Tribunal administratif ordonnant la suspension n’a jamais été exécuté, et plusieurs magistrats parmi les révoqués ont été cités au pénal dans des affaires de corruption, d’escroquerie et de falsification. C’est entre autres, le cas de l’ancien président de la Cour de cassation Taieb Rached, ainsi que de l’ancien procureur de la République Béchir Akrémi qui est impliqué notamment de vol de documents afin d’occulter la vérité dans l’affaire des assassinats des martyrs Chokri Belaid et Mohamed Brahmi. Ces deux magistrats sont d’ailleurs en détention. Une vraie hémorragie au sein du corps des magistrats avec de hauts pontifes qui s’étaient impliqués dans des tiraillements politiques en vue de servir le parti au pouvoir durant la dernière décennie.
Qu’en est-il de l’actuel conseil provisoire de la magistrature ?
Le président de la République, a décidé la création d’un conseil supérieur provisoire de la magistrature pendant les mesures exceptionnelles. Ledit Conseil exerce les missions suivantes : « Émettre l’avis sur la législation relative à l’organisation de la justice, au fonctionnement de la magistrature, aux compétences des tribunaux, aux procédures suivies devant eux et aux statuts particuliers des magistrats ». Cela veut dire qu’il intervient dans la nomination, la carrière et la discipline des magistrats. En principe il est compétent pour intervenir dans le mouvement des magistrats concernant l’année judiciaire 2022/2023. Or les membres du conseil provisoire n’ont fait aucune apparition médiatique ou interview depuis leur nomination. Il n’y a pas eu de réactions lors des événements survenus par la suite au niveau de la magistrature et du pouvoir judiciaire. Ce qui veut dire que ledit conseil ne peut pas prendre de décisions sans le consentement du Président de la République. Toutefois, avec tous les chamboulements qu’il y a eu, il y a comme une hésitation sur le choix des magistrats à occuper les postes vacants dans certains tribunaux et à arrêter la liste relative au mouvement des magistrats. C’est ce qui explique ce retard jamais rencontré auparavant dans l’histoire judiciaire.
Choix difficiles
Le choix est d’autant plus difficile, qu’on assiste actuellement à une justice ébranlée et déboussolée avec des magistrats échaudés et tiraillés. Ce qui a influé sur leur indépendance qui est quelque peu affectée à cause des abus commis par une minorité d’entre eux certes, mais qui a déstabilisé tout le secteur judiciaire. C’est ce qui a amené à sa remise en cause par le Président qui a été en quelque sorte excédé par les abus de certains d’entre eux et a demandé par la même à sa ministre de la justice de procéder à une enquête minutieuse aux fins de poursuivre tous les magistrats impliqués dans des opérations de malversations ou d’escroquerie et dont certains se retranchent derrière l’immunité.
Ce qui fut fait, la ministre ayant demandé au parquet d’enclencher l’action publique contre plusieurs magistrats dont certains ont été même traduits devant le Pôle financier. Les affaires les concernant sont encore pendantes devant différentes instances pénales. Ce qui veut dire que l’opération d’épuration commencée depuis la dissolution du conseil supérieur de la justice est encore en cours. Seulement il va falloir combler les vides afin que toutes les fonctions judiciaires soient pourvues et que toutes les instances judiciaires puissent œuvrer à la bonne marche de la fonction judiciaire, un des piliers de l’Etat démocratique.
Ahmed NEMLAGHI