Par Hédi Chérif Sociologue
Le 13 Août de chaque année, Tunisiens et Tunisiennes célèbrent dans la joie la fête de la Femme. Cette femme, pourrait être une grand-mère, une mère, une sœur, une épouse, une copine, une cousine ou une collègue etc…..Soixante-huit ans après, et grâce aux acquis constitutionnels obtenus en matière de droits civiles et de libertés, proclamés par le père de la nation , feu Habib Bourguiba le 13 aout 1956 , la femme tunisienne a pu miraculeusement accéder aux plus hauts paliers de la vie socioprofessionnelle, marquant ainsi, et à la fois un éveil sans égal de la féminité , et mettant en crise un fonds de commerce de ‘’ masculinité ‘’ de plus en plus en péril après une longue suprématie consensuelle durant tout un passé .
En matière de performances universitaires et socioprofessionnelles, il n’y a pas un domaine où la femme tunisienne n’a pas fait la différence, et où elle n’a pas creusé suffisamment l’écart. A titre d’exemple, dans le domaine de la santé, plus de 88% de candidats admis au concours de résidanat en médecine il y deux ans, sont de sexe féminin. Plus de 90 % de la dernière promotion de jeunes psychiatres admis au concours de fin de spécialité sont des descendantes de la Reine Didon. Plus de 95 % de candidats admis en master et en licence de droit public et privé de la faculté des sciences juridiques, sociales, et politiques de Tunis, sont aussi de sexe féminin. Plus des ¾ des services hospitalo-universitaires sont gérés par des femmes, etc…
Jusque-là, et malgré toutes ces performances, et toutes ces distinctions, les acquis constitutionnels de la femme tunisienne, demeurent encore au stade de l‘antalgique qui gomme le symptôme de la douleur, et qui fausse le diagnostic. Sinon comment expliquer qu’un rapport en juin 2014 de l’union européenne sur l’égalité hommes/femmes, indique que les femmes représentent 63% du nombre total des étudiants, et 67% des diplômés, elles n’occupent que 15% des postes clés dans les secteurs publics et privés.
Malgré toutes ces injustices, nos reines et princesses continuent à creuser l’écart , à féminiser les secteurs de la vie socioprofessionnelle, à exprimer concrètement leur suprématie, à s’approprier ‘’une virilité concrète , actuelle et positive ‘’, et à annoncer leurs prétentions de rééquilibrer le système de rapport femme/ homme, dans les différents domaines en passant de ‘’ L’Etat de droit ‘’ à la ‘’Société de droit ‘’ où les chances pour chacun des deux genres doivent être réellement équitables dans les textes constitutionnels, qu’en réalité.
Etant actrices dans l’histoire de la Tunisie, et ayant incarné le sens de la résistance aux projets islamistes rétrogrades, nos femmes se sont opposées en 2012/2013 au projet nahdhaoui, discriminatoire visant à faire de la femme un complément de l’homme, et qui fut vite retiré et remplacé par celui de l’égalité du genre. Avec la même détermination, ces mêmes femmes militantes se sont battues pour que dans le projet de la COLIBE, du 13 aout 2017, le droit à l’égalité dans l’héritage, entre les deux sexes, comme celui de de la pénalisation de toutes sortes de discrimination et de stigmatisation soient parmi les priorités les plus urgentes. ( Exp : Les mères célibataires )
Cette perception négative de la femme, semble être prise en tenaille dans une bipolarité culturelle d’un masculin encore tiraillé entre l’être et le paraitre et soumis à la suprématie d’un héritage socioculturel accablant, un héritage qui le prédispose beaucoup plus à une attitude d’autodéfense et de préservation d’une suprématie masculine consensuelle et très avantageuse, qu’à une autre plus actuelle, positive et constructive au plan conjugal, socioculturel et professionnel. Sinon, comment expliquer aussi, les taux élevés des divorces prononcés dans nos tribunaux pour des raisons dont principalement l’incapacité mutuelle des tunisiens notamment des jeunes couples, à construire le ‘’ NOUS CONJUGAL ‘’ dans un projet familial en dehors de toutes considérations statutaires professionnelles, ou sociales .
Les statistiques obtenues auprès du ministère de la justice pour les tribunaux de première instance en Tunisie, sont aujourd’hui très alarmantes. De 2014 à 2022, une augmentation du taux de divorce de 134 % indiquant le passage d’un nombre de 14982 à 35000 cas de divorce en l’espace de huit années.
Dans une société à la recherche des normes et des valeurs perdues, où les acquis constitutionnels, sont souvent soumis à une masculinité qui pervertit l’inconscient du Tunisien, et qui structure sa perception négative de la femme , il semblerait que le rapport ’Féminin /Masculin ‘’ tardera à quitter la sphère des relations conflictuelles pour se poser dans une autre de type constructif et positif entre les parties prenantes .
Dans un article intitulé ‘’ violences faites aux femmes ; Birjoulia ‘’le psychologue clinicien Adnène Khaldi, précisait que l’ensemble de ces droits constitutionnels en faveur de la Femme, était perçu comme une violation grave de la masculinité du Tunisien. Pour préserver ses avantages de genre disait-il, le tunisien n’a trouvé de mieux, que l’invention de l’énoncé ‘’ Birjoulia, un concepvirilo-vertueux, un concept qui possède le monopole exclusif de la virilité, de la vertu et de l’humain, un concept qui perverti l’inconscient du tunisien et qui structure sa perception négative de la femme. Si j’ai à donner une date de naissance à l’énoncé ‘’Birjoulia ‘’disait – il, c’est bien le 13 Aout 1956.
Etant une construction sociale légitimée ‘’ le consensus socioculturel’’ , si invisible soit -il par sa suprématie reconnue , demeure un vecteur de reproduction sociale dans toutes ses inégalités, il est aussi la force qui nourrit et perpétue dans une légitimité consensuelle, le mal être psycho-social à la fois du masculin et du féminin et fait tarder l’élaboration d’un contrat social en dehors de toutes considérations statutaires puisant encore leurs sens dans un héritage socioculturel androcentrique du masculin , un héritage à actualiser dans des normes psychosociologiques, culturelles et juridiques .
Nombreux, sont parmi nous, ceux qui jettent l’éponge devant cette suprématie consensuelle et se contentent de penser à l’ordre du destin ou de la création, laissant ‘’ Dieu’’ seul responsable de cet ordre des choses , dans toutes leurs inégalités et toutes leurs injustices
D’autres, pensent que c’est la position la plus faible puisque, par ignorance de visages invisibles d’un consensus social accablant et bourrés de dogmes, de tabous, de dictons, d’injustices et d’inégalités, on impute cette même ignorance qui est seulement la nôtre à un principe extérieur le ‘’ destin ‘’ ou ‘’ Dieu ‘’, principe qui échappe par définition à toute responsabilisation.
Malgré cet héritage socioculturel accablant, l’éveil de la ‘’féminité’’ continue à faire son chemin sur une courbe ascendante, alors que le deuil sur une ‘’ masculinité ‘’, menacée ; et en péril, s’affiche de plus en plus dans les horizons.
Malgré tout, la Tunisie qui a toujours fonctionné selon un mode de solidarité sociale, ne peut jamais et en aucun cas, voler avec une seule aile. L’art de la conduire vers d’autres cieux de liberté, d’égalité, de paix et de justice, se situe à la croisée du féminin /Masculin. Ce sont les deux ailes qui permettent au corps social tunisien de s’élever tôt ou tard. Gardons donc l’espoir. Seul on va vite, ensemble Tunisiens et Tunisiennes en synergie positive, nous allons très loin.
Bonne fête Hraier Tounes