La Commission Européenne a annoncé la semaine dernière qu’elle débloquerait 127 millions d’euros sur les 1 milliard d’euros proposé en faveur de la Tunisie, une première série de paiements au titre du protocole d’accord signé en juillet dernier entre l’UE et la Tunisie. Sauf que le président de la République Kaïs Saïed voit les choses sous un angle éthique et rejette toute forme d’aumône ou de charité. Une déclaration qui vient jeter de l’huile dans le feu. Une tempête diplomatique pointe-t-elle le bout de son nez sur les relations tuniso-européennes. Toutefois et après le niet au FMI et le refus de l’aide financière européenne, la question qui se pose aujourd’hui est la suivante : Comment-va-t-on financer le budget et braver un potentiel défaut de paiement de la dette extérieure ?
Recevant lundi au palais de Carthage, Nabil Ammar, ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger, le Chef de l’Etat a déclaré que la Tunisie refuse l’offre de l’UE visant à soutenir le budget de la Tunisie et de lutter contre l’immigration clandestine. Il a affirmé que la Tunisie n’accepte pas l’aumône ou la charité et décline la dite offre non pas en raison de son montant dérisoire (127 Millions d’Euros), mais parce que cette proposition enfreint le mémorandum d’accord, signé en Tunisie et contredit l’esprit de la Conférence de Rome tenue en juillet dernier, sur une initiative tuniso-italienne.
Saïed avait chargé le 25 septembre dernier le ministère des Affaires étrangères, de l’Immigration et des Tunisiens de l’étranger d’informer la partie européenne de la décision de reporter la visite qu’une délégation de la Commission européenne envisageait effectuer en Tunisie à une date ultérieure à convenir entre les deux parties.
Aujourd’hui cette enveloppe dérisoire de 127 millions d’euros est fichue en l’air. Souveraineté nationale oblige, selon la présidence de la République. Mais qu’en est-il de notre souveraineté économique ?
Dette intérieure : 42,9% de l’encours de la dette publique à fin juin 2023
Selon le rapport d’exécution du budget de l’Etat au mois de juin 2023, la Tunisie n’a reçu aucun don de l’extérieur sur une enveloppe de 354,0 MDT prévue dans la LF 2023. Le financement extérieur nette du budget est estimé à 932,8 MDT contre 3411,9 MDT une année auparavant. Par ailleurs l’encours de la dette publique a atteint 119 791,5 MDT dont 42,9% de dette intérieure, soit 51 406,7 MDT.
La dette extérieure est toutefois estimée à 68 384,8 MDT ; dont 59,7% est libellée en euro. Les emprunts extérieurs sont évalués à 2710,3 MDT contre 5607,7 MDT mobilisés à fin juin 2022 dont 1755,9 MDT (1293,5 MDT auprès de Afreximbank) consentis dans le cadre de la coopération multilatérale.
Les emprunts intérieurs sont dès lors de l’ordre de 3082,8 MDT sur un total de 9533 MDT prévus dans la LF 2023. La grande partie de l’endettement intérieur est mobilisé dans le cadre de l’emprunt national. Rappelons que le Trésor a levé 1.560 millions de dinars au titre des deux premières tranches de l’emprunt national. Les souscriptions à la troisième tranche, a été ouverte le 5 septembre courant, laquelle est fixée à 700 millions de dinars et est susceptible d’être porté à un montant supérieur.
Risques bancaires
L’Agence internationale de notation Fitch Ratings prévoit une baisse du déficit budgétaire de la Tunisie à 5,8% du PIB en 2023, contre 6,9% en 2022. Dans une note publiée récemment, l’agence de notation souligne que, durant le 1er semestre 2023, la Tunisie est parvenue à réaliser un excédent budgétaire d’environ 58,8 millions de dinars (MD) (0,4 % du PIB), suite à une maîtrise des dépenses générales qui n’ont pas dépassé 38% des prévisions budgétaires pour l’année 2023.
Néanmoins il va sans dire que cette contraction du déficit budgétaire n’est que l’arbre qui cache la forêt. A deux mois de la fin de l’exercice 2023, l’Etat peine à boucler son budget et à mobiliser des sources de financement. En dehors de l’endettement intérieur et ses menaces rampantes sur la liquidité bancaire, toute chance de financement dans le cadre de la coopération bilatérale est barrée. Seulement la Tunisie, peut-elle compter sur ses propres moyens pour sauver les meubles ? Selon un dernier classement sur le secteur bancaire et financier arrêté au 4ème trimestre 2023 par BMI de Fitch solutions, la Tunisie est le pays qui présente un risque élevé et arrive en queue de peloton arabe juste après l’Algérie et le Maroc.
Saïed persiste et signe : « pas de recours au FMI » et il semble qu’il détient la recette magique pour faire sortir l’économie nationale du gouffre. A priori, un plan B ne saurait tarder à être dévoilé. La Banque Centrale de Tunisie sera-t-elle de la partie ? Demain sera un autre jour.
Yosr GUERFEL AKKARI