• Dr. Jalel Eddine Ziadi,  Directeur Général du centre national pour la promotion de la transplantation d’organes (CNPTO)
  • La Tunisie jouit d’une longue histoire dans le domaine de la transplantation  d’organes ou de tissus

La greffe d’organes constitue une thérapeutique qui consiste à remplacer un organe non fonctionnel par un organe prélevé sur un donneur qui peut être décédé ou en état de mort encéphalique, dit «à cœur battant». Il s’agit de prélèvements multi-organes (PMO ) et de tissus : rein, foie, cœur, poumons, pancréas, intestin pour les organes et os, cornée, peau, pour les tissus.

 

Ce type de donneurs représente l’essentiel de l’activité de greffe dans de nombreux pays. Les greffes d’organes sont le seul moyen actuellement envisageable pour sauver la vie de certains malades ou remédier à des astreintes très éprouvantes, comme les séances répétées de dialyse. Beaucoup espèrent cette greffe, l’attendent longtemps. Du fait de cette attente, leur état peut s’aggraver au point de conduire à la mort, une mort qui aurait parfois pu être évitée.

 

Malheureusement, les dons d’organes  sont loin de répondre aux besoins exprimés. Le 17 octobre, la Tunisie célèbre la journée mondiale et nationale du don d’organes et de la greffe. L’objectif de cette journée est à la fois de rendre hommage aux familles de donneurs, d’inviter à une réflexion sur le don d’organes et d’inciter chacun d’entre nous à échanger avec nos proches.  L’organisation générale du prélèvement et de la greffe d’organes et de tissus est sous la responsabilité du Centre national pour la promotion de la transplantation d’organes(CNPTO). Sous l’égide du ministère de la Santé, à l’occasion de la Journée mondiale et nationale pour la sensibilisation au don d’organes, un programme événementiel a eu  lieu ce dimanche 15 octobre 2023 à l’avenue Habib-Bourguiba à Nabeul  avec au programme  une sensibilisation au don d’organes, composée d’une animation artistique et culturelle suivie d’un semi-marathon d’1, 1,5 et 15 km à travers les plus beaux payasages de la ville . Les explications du Dr. Jalel Eddine Ziadi, directeur général du centre national pour la promotion de la transplantation d’organes (CNPTO)

Le Temps.news : La Tunisie célèbre le 15 Octobre la journée mondiale du don d’organes, que vous inspire cette journée ?

 Dr Jalel Ziadi :La célébration de la Journée Mondiale et Nationale pour la Promotion de Transplantation d’Organes est une occasion pour développer la culture du don d’organes afin de consolider les acquis et amener les citoyens tunisiens à adhérer à cette noble cause qui est le don d’organes.

La Tunisie est pionnière dans ce domaine à l’échelle du Maghreb arabe. Comment expliquez-vous cette réussite ?

La Tunisie jouit d’une longue histoire dans le domaine de la transplantation que ce soit d’organes ou de tissus. Elle a commencé avec les décrets beylicaux qui ont autorisé l’activité de transplantation d’organes. En 1948, la première greffe de cornée a été effectuée par le Pr Hédi Raïes. La première greffe de rein a eu lieu en 1986 à l’Hôpital Charles-Nicolle par le Pr Saadeddine Zmerli et la première transplantation cardiaque a été réalisée en 1993 à l’Hôpital Militaire Principal d’Instruction de Tunis par l’équipe médicale dirigée par feu Pr Mohamed Fourati. Donc, l’activité de transplantation d’organes ne date pas d’aujourd’hui en Tunisie. C’est une conjugaison de facteurs qui explique que nous maîtrisons aujourd’hui parfaitement l’activité de transplantation d’organes : la volonté des médecins tunisiens de réussir dans ce domaine et surtout le rôle de l’Etat de vouloir former constamment des compétences et de les maintenir à la pointe de la science et de la technologie.

Pensez-vous que la loi n°91-22 du 25 Mars 1991 relative au prélèvement et à la greffe d’organes humains permet-elle de sauver les personnes en attente de greffe ?

Après la réalisation de la première greffe rénale en 1986 et dans le but d’encadrer l’activité du don et de la greffe d’organes par des garanties légales, la loi n° 91-22 a vu le jour le 25 mars 1991. Cette loi relative au prélèvement et à la greffe d’organes humains a défini le cadre général de l’activité du prélèvement et de la greffe d’organes et elle a mis l’accent avec ses décrets d’application sur trois aspects essentiels de cette activité : le prélèvement d’organes sur donneur vivant, le prélèvement d’organes sur donneur cadavérique et l’organisation du prélèvement et des greffes.Nous tenons à rappeler que tout citoyen tunisien est considéré donneur s’il n’a pas manifesté son refus de son vivant.

 

C’est ce que l’on appelle le consentement présumé. Néanmoins, la famille garde le droit d’opposition comme le stipule le texte de loi n° 91-22.

En ce qui concerne le donneur vivant, certaines règles sont à rappeler et entre autres, le consentement éclairé devant le tribunal de 1ère instance. Le donneur vivant doit être majeur, jouissant de toutes ses capacités mentales et le don ne lui occasionne aucun préjudice ni moral ni physique. Cette loi de référence n° 91-22 du 25 mars 1991 a été réconfortée par plusieurs textes législatifs, la décision ministérielle du 16 octobre 1998 définissant la mort encéphalique ainsi la loi n° 99-19 du 1er mars 1999, relatif à la Carte Nationale d’Identité, dans laquelle une prise de position explicite et éclairée est prise par le citoyen en faveur du don après sa mort. Les textes législatifs en Tunisie confortent les principes du don : l’anonymat, la gratuité, le volontariat. La loi 91-22 du 25 mars 1991 était une loi avant-gardiste par rapport à son ère mais certains amendements devraient être soumis à la révision entre autres la distinction entre la transplantation d’organes et la greffe de tissus et préciser encore plus la notion de consentement présumé. Celle-ci ne peut être amendée qu’après un dialogue sociétal regroupant la société civile et les différents intervenants dans ce domaine.

Quelle analyse pouvez-vous faire sur ces taux très bas et sur les réticences des donneurs potentiels ? Combien de malades ont besoin de greffe d’organes vitaux comme le cœur, le foie, le poumon ou le rein en Tunisie ?

Les indications de la transplantation d’organes sont établies par des sociétés savantes. On parle d’insuffisance rénale terminale, insuffisance cardiaque terminale ou insuffisance hépatique terminale en fonction de l’organe touché. Le nombre des malades sur la liste d’attente ne cesse d’augmenter et pour avoir un ordre d’idée, on a 1700 patients sur la liste d’attente rénale, 50 patients en attente d’un foie et 40 en attente d’un cœur.Les chiffres sont plus importants pour le rein, ceci est expliqué par la disponibilité de l’hémodialyse pour remplacer temporairement la fonction rénale et maintenir en vie les patients tandis que ceux qui sont en attente de greffe cardiaque ou hépatique décèdent à défaut d’un organe.

A partir de ces données, on constate qu’il y a un déséquilibre important entre l’offre et la demande par exemple nous avons réalisé en 2022 : 19 prélèvements multi-organes, 71 : greffes rénales, 12 : transplantations cardiaques et 8 : transplantations hépatiques

Quel état des lieux dressez-vous du don d’organes et de transplantation en Tunisie ?

La société tunisienne a évolué dans son approche avec le don et ceci est devenu un sujet non tabou et débattu par les familles. Bien que les chiffres soient mitigés et en dessous de nos espérances, nous tenons à rappeler que la Tunisie est le seul pays africain (en dehors de l’Afrique du Sud) où est réalisée une greffe d’organes à partir d’un donneur décédé. Toutefois, on reste loin derrière les pays développés européens et américains . D’où la nécessité de promouvoir encore plus le don sous toutes ses formes.

Comment sensibiliser et informer les donneurs vivants potentiels sur le processus de transplantation et de greffe ? Quelles sont les actions que vous entreprenez au sein de votre centre national pour la promotion de la transplantation d’organes ?

Nous tenons à rappeler que l’une des missions principales du Centre National pour la Promotion de la Transplantation (CNPTO) est la sensibilisation du grand public pour cette cause noble. Le don d’organes doit être inscrit dans un projet sociétal incluant l’état avec ses différents ministères : (Ministère de la Santé, Ministère de l’Education, Ministère des Affaires Religieuses, Ministère de l’intérieur, Ministère des Affaires Sociales, Ministère de la Jeunesse et des Sports..) d’une part et la société civile d’autre part. L’approche pour la sensibilisation au don doit être globale et toucher toutes les tranches d’âges et les catégories sociales.On doit commencer par les élèves depuis leur jeune âge en incrustant en eux la culture du don d’organes dans les manuels éducatifs.

Sur le plan religieux, une formation des Imams concernant le don d’organes a été réalisée en collaboration avec le Ministère des Affaires Religieuses pour que ces derniers diffusent les valeurs du don dans les prêches.Concernant les médias, nous essayons d’être présents durant toute l’année pour en parler du don sous tous ses aspects.

Qu’est-ce qui manque pour développer la transplantation d’organes en Tunisie ?

Un état des lieux a été élaboré avec la participation de l’OMS afin de développer la transplantation d’organes. Ceci a été le point de départ pour l’élaboration d’une stratégie nationale pour le développement du prélèvement et de la transplantation d’organes en Tunisie discutée avec les différents intervenants. Ceci sans oublier la nécessité de collaborer plus avec les médias pour  la sensibilisation au don d’organes en touchant toutes les catégories et les tranches d’âges des citoyens et en développant la culture du don d’organes.

Comment peut-on procéder pour devenir donneur ?

Tout citoyen tunisien est présumé donneur s’il n’a pas manifesté son refus de son vivant et afin de conforter ce Consentement présumé, la loi 1999 relative à la carte d’identité nationale, a octroyé aux tunisiens la possibilité de manifester sa volonté pour le don en stipulant sur la carte d’identité nationale la mention donneur. Cet acte de Citoyenneté est gratuit .Il faut juste se présenter au poste de police menu d’un formulaire rempli

Comment s’effectue le prélèvement d’organes ?

Le don d’organes s’effectue à partir d’un donneur vivant (rein ou la moitié d’un foie) ou d’un donneur en état de mort encéphalique hospitalisé dans un service de réanimation. Nous ne prélevons pas d’organes sur des cadavres, mais sur des personnes qui sont en état de mort cérébrale, c’est-à-dire l’arrêt total et irréversible des fonctions neurologiques (mais les organes sont animés pendant quelques heures).

De nombreux citoyens ont peur que ce don puisse faire l’objet d’un trafic ou d’une commercialisation illégale.

La Tunisie a ratifié la convention d’Istanbul sur le trafic d’organes. Cette activité illégale de trafic d’organes est fortement réprimandée par les textes législatifs tunisiens et avec toute fierté aucun cas de trafic n’a été recensé en Tunisie depuis le début de cette activité qui s’exerce uniquement dans les centres hospitaliers agréés (en dehors de la cornée). Par ailleurs, les moyens diagnostiques, thérapeutiques et logistiques ne sont disponibles que dans les hôpitaux publics qui ont une autorisation de réaliser des transplantations. Le Centre National pour la Promotion de la Transplantation d’Organes est l’un des acquis les plus importants qui coordonne et régule cette activité. Il détient les listes d’attentes nationales en attente de greffe et c’est à lui que revient la responsabilité d’octroyer les organes aux personnes nécessiteuses. Et de ce fait, nous rappelons les fondements du don : la gratuité, le bénévolat, l’anonymat et la transparence.

Les Foulées Vertes de Tunis»  organisées ce dimanche à Nabeul  est-ce une opportunité pour sensibiliser au don d’organes ?

Après la réussite de la 1ère et la 2ème édition « des foulées vertes » qui ont  touché plus de 4000 citoyens, nous avons opté pour la décentralisation de cette manifestation et de l’organiser au gouvernorat de Nabeul dans le but de toucher encore plus de citoyens.Cette troisième édition a connu un grand succés avec une animation non stop et une participation massive des citoyens

                                               Kamel BOUAOUINA