La pharmacologie ne cesse de se développer en Tunisie. Deux tendances permettent d’expliquer cette renaissance. L’une est l’interpénétration de plus en plus active entre biochimie et pharmacologie fondamentale. L’autre est l’émergence d’une nouvelle branche de la spécialité : la pharmacologie clinique. C’est dans ce cadre que l’’Association Tunisienne de Pharmacologie (ATP) a organisé son premier congrès national de pharmacologie les 19, 20 et 21 octobre 2023 à Hammamet. Cette manifestation a pour mission principale de fédérer et de rassembler les chercheurs et les spécialistes parmi les médecins, les pharmaciens, les vétérinaires et les scientifiques dans le domaine de la pharmacologie et contribuer ainsi au développement et à la promotion de cette discipline.
Ce congrès qui a réuni plus de 500 personnes dont des pharmacologues, des médecins, des pharmaciens, des vétérinaires et des scientifiques tunisiens, maghrébins , français et espagnols avait pour thèmes principaux : La Pharmacovigilance, la Bioéquivalence, les Essais cliniques et l’Accès à l’innovation ». Des séances plénières, des symposiums, des ateliers et des séances de communications orales et affichées ont eu lieu. Par ailleurs, un « pre-congress course » portant sur les « Bonnes Pratiques Cliniques » a été également organisé. Riadh Daghfous, Directeur Général du Centre National de Pharmacovigilance et Président de l’Association tunisienne de pharmacologie (ATP) a bien voulu se confier au journal le Temps.
Le Temps.news : Qu’est-ce que la pharmacologie ? Est-ce un facteur d’innovation en recherche thérapeutique ?
Riadh Daghfous : La pharmacologie est une branche de la médecine, de la biologie et des sciences pharmaceutiques concernée par l’action d’un médicament. Son étude est capitale en médecine puisque les médicaments constituent l’arme principale dont disposent les médecins pour guérir ou soulager les malades.
La pharmacologie est un moteur majeur de l’innovation en recherche thérapeutique. Elle contribue à la découverte de médicaments en identifiant des cibles biologiques, évalue leur efficacité et sécurité, permet la personnalisation des traitements, optimise les doses, et ouvre la voie à de nouvelles approches thérapeutiques. En résumé, la pharmacologie joue un rôle essentiel dans l’avancement de la médecine et des soins de santé. Par ailleurs, la pharmacologie permet de concevoir de nouvelles approches thérapeutiques, telles que la thérapie génique, la thérapie cellulaire et la nanomédecine, qui repoussent les limites des traitements traditionnels.
Le pharmacologue est-il un médecin, un pharmacien ou un spécialiste du médicament ?
Un pharmacologue est un médecin, pharmacien, vétérinaire, ou tout scientifique spécialisé en pharmacologie. Les pharmacologues médecins et pharmaciens sont surtout impliqués dans les études cliniques et l’évaluation des thérapeutiques, et, avec les pharmacologues scientifiques et vétérinaires, dans la recherche.
Comment devenir pharmacologue ? Quel est le rôle de l’Association tunisienne de pharmacologie (ATP)?
La pharmacologie est une spécialité en médecine et en pharmacie. Il faut passer par le concours de résidanat et passer à la fin du cursus, l’examen de fin de spécialité et/ou le concours d’assistanat hospitalo-universitaire. Par ailleurs, les médecins vétérinaires et les scientifiques peuvent accéder à la spécialité par un cursus universitaire. L’Association Tunisienne de Pharmacologie joue un rôle fondamental dans le développement de cette spécialité en Tunisie avec pour missions : fédérer les Pharmacologues qu’ils soient médecins, pharmaciens, vétérinaires ou scientifiques, ainsi que tous les professionnels du secteur du médicament autour de la thématique de la Pharmacologie ; contribuer aux progrès de la Pharmacologie dans tous ses versants ; promouvoir l’enseignement, la formation continue, et la recherche dans le domaine de la Pharmacologie ; partager les expertises sur des problématiques d’actualités en Pharmacologie ; oeuvrer pour l’homogénéisation de l’activité de Pharmacologie des différentes structures concernées par cette activité en Tunisie et/ou ailleurs ; renforcer les liens de coopération entre les structures nationales s’intéressant au domaine de la Pharmacologie et établir et pérenniser les contacts avec les structures et les savantes étrangères ayant des intérêts communs.
Quel est le rôle de l’intelligence artificielle en pharmacologie ?
L’intelligence artificielle (IA) joue un rôle essentiel en pharmacologie en accélérant la découverte de médicaments, en optimisant les essais cliniques, en permettant la médecine personnalisée, en détectant les effets indésirables, en soutenant la recherche en pharmacogénomique, et en améliorant le diagnostic médical grâce à l’analyse d’images. L’IA automatise des tâches complexes, traite d’énormes ensembles de données, et améliore l’efficacité de la recherche pharmaceutique, contribuant à l’innovation et à des soins de santé plus efficaces et personnalisés.
On estime que plus de la moitié des médicaments sont prescrits, délivrés ou vendus de façon inappropriée. La mauvaise utilisation généralisée des antibiotiques est particulièrement préoccupante. Elle entraîne une résistance des bactéries pathogènes, rendant ainsi le traitement inefficace. Faut-il accorder une grande importance à la rationalisation de l’usage de ces produits ?
La pharmacologie joue un rôle fondamental dans la rationalisation de l’usage des médicaments, en particulier des antibiotiques, en luttant contre leur usage inapproprié. Elle assiste les professionnels de la santé dans la sélection des antibiotiques les plus adaptés, en déterminant les doses optimales, en définissant la durée de traitement adéquate, et en évitant les interactions médicamenteuses indésirables. De plus, la pharmacologie sensibilise les acteurs de la santé, y compris les patients, à l’utilisation responsable des antibiotiques. En réduisant l’usage inapproprié de ces médicaments, le pharmacologue contribue à prévenir la résistance bactérienne, à optimiser l’efficacité des traitements, et à garantir la sécurité des patients, renforçant ainsi la qualité des soins de santé.
Garantir la sécurité sanitaire et la qualité des médicaments est un des objectifs de tout système de santé. Quel est le rôle du Centre national de pharmacovigilance, dans tout cela ?
Le Centre national de pharmacovigilance a pour objectif principal la surveillance des effets indésirables des médicaments par le recueil et l’analyse de tout évènement indésirable suspecté survenant chez un patient après consommation d’un médicament. Il assure ainsi la sécurité des médicaments commercialisés en Tunisie. Par ailleurs, le CNPV participe fortement à la garantie de la qualité des médicaments par la réalisation, par le service de pharmacologie clinique du CNPV, des études de bioéquivalence pour la grande majorité des médicaments génériques avant leur commercialisation.
Quelles mesures adopter devant un cas d’effet indésirable d’un médicament et que faire en cas d’alerte ?
Il faut commencer par déclarer le cas à son médecin traitant, qui, lorsqu’il suspecte l’origine médicamenteuse, va notifier le cas au service de recueil et d’analyse des effets indésirables du CNPV pour évaluer la relation de causalité et éventuellement donner des recommandations quant à l’utilisation du médicament incriminé.
Qu’en est-il de la pharmacovigilance au sein de l’industrie pharmaceutique ?
La publication du texte au JORT sur les directives tunisiennes pour les bonnes pratiques de pharmacovigilance, qui ont pour objectifs de souligner les exigences nationales spécifiques à la Tunisie par rapport aux différentes tâches et responsabilités en pharmacovigilance des détenteurs d’AMM, nous a permis d’améliorer cette activité au sein des différentes entreprises du médicament, locales et internationales. Nous sommes sur la bonne voie, et j’estime que d’ici quelques mois, ces dernières auront un système de pharmacovigilance qui répond aux normes locales et internationales
Pour quand la réduction de l’AMM ? Quelles sont les perspectives d’avenir de l’agence nationale des médicaments ?
Nous avons actuellement en Tunisie des structures du médicament de haut niveau avec un personnel performant. Toutefois le manque de coordination entre elles limite l’efficacité et le rendement de celles-ci. La création de l’Agence Nationale du Médicament et des Produits de Santé nous permettra d’ajuster notre politique en matière de fabrication des produits pharmaceutiques et les procédures de sa régulation, avec en particulier le raccourcissement des délais des autorisations de mise sur le Marché ou d’enregistrement des médicaments et des produits de santé.
La mise en place de l’agence témoigne de l’engagement du gouvernement tunisien à renforcer le secteur de la santé et à garantir la sécurité et la qualité des médicaments et des produits de santé disponibles sur le marché. Elle contribuera, en outre, à développer la coopération internationale dans le secteur des médicaments, tout en améliorant le classement de la Tunisie, auprès des instances internationales compétentes.
Entretien conduit par Kamel BOUAOUINA