Par Slim BEN YOUSSEF
Enée, une fois entré dans le gouffre de l’enfer, rencontra d’abord les morts qui n’avaient pas été enterrés par les survivants. Ils sont voués à cent ans d’errance sur les bords du Styx. Les autres morts, eux, ont droit à l’oubli. Ils demandaient à passer le fleuve. C’est Charon qui, à tour de rôle, assurait la traversée.
Puis Enée rencontra les ombres résultant des morts violentes.
Tout à coup il entendit de « grands vagissements » : Enée tomba face à face avec les âmes des enfants tués. Un funeste jour les avait enlevés à la vie. Ils sont plongés dans la « nuit prématurée de la mort ». Tous sont exclus des Enfers. Ils n’ont pas droit à l’oubli.
Pour parvenir à raconter le génocide, l’immense Virgile, dans son immortelle Eneide, proposait à l’ancien monde des Romains ce concept surprenant de la « mort prématurée ». Pour Virgile, les enfants tués et les victimes de mort violente sont des « anachronies » : le temps s’est disloqué sur eux, leur mort est anachronique. Ces âmes, qui ne sont pas « complètement morts », errent aux frontières de l’enfer jusqu’à l’écoulement du nombre d’années que leur vie aurait dû atteindre. Ce n’est pas seulement la violence qui est sanctionnée dans leur exclusion des Enfers : c’est leur mort extirpée « avant terme ». Qui a été arrachée « trop tôt ». Toute mort a beau être « inachevable », il y a des morts plus « inachevées » que d’autres. Immense Virgile.
C’est ainsi que la « mort inachevée » erre dans notre monde des vivants comme la trace indélébile d’une horreur indicible.
Qu’est-ce qu’une horreur indicible ? Des enfants de Gaza massacrés par Israël.