La lutte contre la pollution marine constitue un défi écologique majeur, mais faut-il encore trouver des solutions pour revaloriser les déchets collectés sur les plages. Des filets, des cordages, des bouteilles en plastique et en verre, des bidons, des bottes… C’est l’inventaire des déchets de la mer, collectés lors d’une démonstration au large du golfe de Gabès. Dans le cadre de nouvelles mesures sur l’économie circulaire, la Biotechpole Sidi Thabet, en collaboration avec l’Institut national de la science et de la technologie de la mer (INSTM), ont organisé le 1er Forum sur la valorisation des déchets marins, inscrit dans le cadre de l’économie bleue. Cet événement s’inscrit dans les activités du projet ARIBiotech, une initiative du programme de coopération transfrontalière Italie-Tunisie 2014-2020, soutenue par l’Union européenne comme le précise Ouajdi Souilem PDG de la BiotechPole Sidi Thabet
Le Temps.news : Tout d’abord, qu’et-ce que la biotechnologie ?
Ouajdi Souilem : La biotechnologie est l’application de la science et de la technologie à des organismes vivants, de même qu’à ses composantes, produits et modélisations, pour modifier des matériaux vivants ou non-vivants aux fins de la production de connaissances, de biens et de services .La biotechnologie est ainsi une rencontre entre la biologie, les technologies issues de diverses disciplines comme l’informatique, la biophysique , la génétique ou encore la biochimie et les sciences de l’ingénieur. Historiquement parlant, les biotechnologies existent depuis des millénaires notamment avec la découverte des processus de fermentation grâce à des micro-organismes et des bactéries
Où se situe la Tunisie dans le secteur des biotechnologies ?
La Tunisie fait partie des pays qui avancent dans le domaine des biotechnologies et compte plusieurs entreprises qui effectuent de la Recherche et du Développement dans ce domaine. Les biotechnologies trouvent des applications dans de nombreux domaines, santé-pharmaceutique, agroalimentaire, environnement et cosmétique. Le domaine des biotechnologies marines est vaste et incertain en termes de débouchés. En conséquence, les grandes entreprises impliquées dans des projets d’envergure sont peu nombreuses. Ce sont principalement les start-up qui se positionnent sur le marché des biotechnologies bleues, mais elles souffrent du manque d’investissements.Le second problème des biotechnologies marines réside dans leur caractère transverse à de nombreux secteurs d’activité, ce qui rend parfois les développements plus délicats.
Comment se fait la formation en biotechnologie en Tunisie ?
Les biotechnologies constituent un axe potentiel important de développement. Elle a ainsi mis en place des technopoles dédiées aux biotechnologies de la santé et bien-être à Sidi Thabet et des Centres de Recherche et Développement (Centre de Biotechnologie de BorjCédria, Centre de Biotechnologie de Sfax) ainsi que des Instituts Supérieurs de Biotechnologies consacrés aux diverses applications de la Biotechnologie : l’agriculture et l’agroalimentaire, l’eau, l’énergie, la santé et l’environnement et la Bio-industrie. L’Institut Supérieur de Biotechnologie de Sidi Thabet / ISBST offre des programmes d’études qui répondent à la fois aux multiples aspects de la biotechnologie appliquée et aux besoins pluridisciplinaires en compétences de l’industrie. L’étudiant peut clôturer ses études par une licence. Les Masters professionnels présentent une alternative vis-à-vis d’une continuité et d’une spécialisation.
Comment jugez-vous la collaboration entre le monde entrepreneurial et le monde académique ?
Cette collaboration de recherche avec le monde des entreprises et des associations représente une source de richesse pour les projets de recherche. Elle présente une vaste gamme d’avantages .La collaboration recherche-entreprise peut devenir une coopération riche quand les acteurs de l’entreprise sont impliqués dans la définition du sujet de recherche et participent à l’élaboration du design de recherche. Il faudrait stimuler les rencontres entre la recherche en université et le monde entrepreneurial. Cette collaboration doit exister .Avant de débuter une coopération, il est indispensable d’apprendre à se connaître car ce sont deux mondes qui trop souvent s’ignorent. Il faut ensuite bien se comprendre et définir un compromis clair entre la visée économique de l’entreprise et l’objectif théorique de l’institut de recherche.Le milieu académique pense que l’entreprise ne voudrait pas collaborer avec l’université et injecter de l’argent alors que l’entreprise voudrait des solutions susceptibles de booster plus son activité. Il faudrait un climat de confiance et des mécanismes pour les rapprocher. L’universitaire ne doit pas rester cloisonné dans sa structure. L’entrepreneur doit soutenir la recherche .Cependant en dépit de l’amélioration continue de l’écosystème de l’innovation et bien que la Tunisie essaye de rattraper son retard pour rejoindre les autres pays du monde, des efforts restent à consolider notamment au niveau de l’environnement des affaires, de l’éducation, de la collaboration entre l’université et les entreprises au niveau de la Recherche & Développement. Nous avons une bonne recherche mais on ne peut pas la valoriser. C’est pourquoi notre biotech Pôle de Sidi Thabet essaie de faciliter les contacts entre les entreprises et les autres acteurs du même secteur pour profiter de la transversalité de l’industrie. Notre Pépinière met à la disposition des 10 porteurs de Startups une panoplie de services à haute valeur ajoutée. Ces porteurs de projets qui seront labellisés auront leur propre entreprise.
Quel est le rôle de la biotechnologie dans la valorisation des déchets marins dans le cadre de l’économie bleue ?
En Méditerranée, les algues vertes, les contaminations chimiques et les déchets posent problème : plastiques, verre, métaux, bois, textiles. On les retrouve sur les plages, en surface et au fond de l’eau. L’intérêt des grands groupes industriels mais aussi des PME tend de plus en plus vers des solutions biotechnologiques inspirées de la nature. L’approche pluridisciplinaire du biomimétisme permet le développement de nouvelles applications biotechnologiques qui répondent aux enjeux actuels et notamment, dans le cadre de la transition écologique. La valorisation biotechnologique des déchets marins peut créer de nouvelles opportunités d’emploi et contribuer au développement économique des zones côtières et des régions ayant accès aux ressources marines. Cette approche implique l’utilisation des techniques innovantes pour extraire de la valeur de diverses formes de déchets marins, notamment les coproduits issus de la transformation de produits aquatiques, les écarts de pêches, les algues et les sédiments de dragage. Pour ce nouveau secteur, les défis sont nombreux notamment l’accessibilité à la matière première, la réglementation, la technologie à mettre en œuvre et la délocalisation. C’est dans ce contexte que la BiotechPole Sidi Thabet a organisé en partenariat avec l’Institut National des Sciences et Technologies de la Mer le 1er Forum sur la valorisation des déchets marins dans le cadre de l’économie bleue sous la thématique : » Explorer les challenges de la biotechnologie bleue et des procédés de la valorisation pour un avenir meilleur .Ce Forum a comporté des conférences plénières, des panels, des rencontres B2B entre les acteurs tunisiens, italiens et les sociétés tunisiennes et italiennes et des sessions de pitching de projets innovants en Biotechnologie marine.
Cette manifestation vise la mise en réseaux des différents acteurs engagés dans la filière de la valorisation des déchets marins notamment les institutions transfrontalières qui agissent dans la recherche et l’innovation et dans le transfert technologique (système technopolitain, centres de recherche, etc.) ,les représentants de l’industrie, les startuppeurs et les communautés locales,les investisseurs,les institutions territoriales intéressées par la gestion des déchets et des sédiments issus du dragage des ports et les représentants de la société civile (associations, clusters, etc.)Ce forum a contribué à la formation d’un consensus et à la promotion d’une vision commune parmi les parties prenantes concernant l’importance de la gestion et de la valorisation des déchets marins.
Comment les biotechnologies marines sont-elles utilisées ?
Sur les 20 000 molécules issues du milieu marin découvertes à ce jour, environ un quart sont utilisées dans le secteur de la santé, pour le développement de nouveaux médicaments et la mise au point d’innovations médicales. Les exemples récents ne manquent pas : un anticancéreux a été mis au point grâce à un petit vertébré vivant au large des côtes de Floride ; un ver marin est à la base de l’élaboration de pansements cicatrisants ; une bactérie des grands fonds est étudiée dans la régénération de la peau et des os ; d’autres organismes marins servent de support à la recherche de nouveaux antibiotiques, de substituts sanguins, d’antidouleurs, de remède aux maladies neurodégénératives, etc.
Quels sont les autres champs d’application des biotechnologies marines ?
L’alimentation est un domaine où les biotechnologies marines ont joué un rôle essentiel ces dernières années en permettant d’améliorer la qualité des aliments grâce à des techniques de conservation innovantes. Des bactéries marines sont notamment utilisées pour empêcher le développement d’agents pathogènes comme la listeria ou pour prolonger la fraîcheur des produits. Elles constituent une alternative aux additifs chimiques.Les biotechnologies marines peuvent également apporter des solutions en termes de production alimentaire – production de lipides et de protéines pour le bétail, mais aussi pour l’homme. Ce qui, dans un contexte de raréfaction des ressources, est primordial.De façon générale, les biotechnologies marines vont permettre de développer des molécules ou des enzymes exploitables dans de nombreux secteurs de l’industrie : cosmétologie (produits de beauté, maquillage), produits d’entretien (lessive, colle), pâte à papier, emballages (y compris l’encapsulation des médicaments), etc .Il y a d’abord un enjeu de protection de cette diversité microbiologique et des trésors qui restent à découvrir dans la mer méditerranée , surtout dans un contexte de réchauffement climatique et de pression anthropique. Il faut donc développer des modes de gestion durable efficaces, fondés sur une meilleure compréhension des organismes, de leurs interactions avec le milieu et de leur place dans l’écosystème.
Pourquoi cette ouverture sur l’international et notamment sur l’Italie ?
Pour assurer le succès et l’application effective de ses divers programmes, nous avons adopté une stratégie de partenariat et d’ouverture sur le monde. La mer méditerrané et notamment la Sicile nous lie. Avec nos partenaires l’Institut National des Sciences et Technologies de la mer et le Bureau d’information méditerranéen pour l’environnement, la culture et le développement durable (MIO-ECSDE) , l’Université de Sienne (UNISI), nous avons croisé notre expérience en vue d’ouvrir la voie à une Méditerranée sans déchets et identifier des recommandations pour une approche de la gestion des déchets marins qui combine la gestion basée sur les écosystèmes (EbM) et la gestion intégrée des zones côtières
Propos recueillis par Kamel BOUAOUINA