Durant l’ancien régime, la situation dans les prisons en Tunisie, laissait à désirer, malgré une politique carcérale tendant vers un effort d’amélioration des conditions des détenus. Avec la loi du 14 mai 2004 il y a un essai de réglementer les arrestations suivant les cas en les humanisant davantage. A titre d’exemple il est stipulé dans l’article 7 bis, que : « Les femmes détenues, enceintes ou allaitantes, sont, pendant la période de grossesse et d’allaitement, incarcérées dans un espace approprié, aménagé à cet effet offrant l’assistance médicale, psychologique et sociale à la mère et à l’enfant ». De même qu’en vertu de l’article 8 de la même loi « La détenue enceinte, bénéficie de l’assistance médicale prénatale et postnatale, les dispositions nécessaires sont prises pour que les enfants naissent dans des établissements hospitaliers hors des prisons. Si l’enfant est né en prison, il est strictement interdit de mentionner son lieu de naissance dans les registres de l’état civil, des extraits et copies qui en sont délivrés ». Bref, il y a un effort d’humanisation de l’incarcération afin que la sanction ne soit pas à titre d’expiation de réhabilitation, dans le but de redonner l’espoir au détenu, quels que soient les faits qu’il a commis et la sanction dont il a écopé, en vue de ne pas baisser les bras et penser toujours à sa libération et à sa réinsertion dans la société.
Difficiles conditions de détention et surpopulation carcérale
Il y a eu depuis 2011 des changements significatifs. L’administration pénitentiaire, alors sous l’autorité du Ministère de l’intérieur, a été placée sous la direction du Ministère de la justice. La Tunisie a connu des changements significatifs depuis. Cependant beaucoup de carences persistent quant aux conditions de détention, aux droits des détenus, ainsi qu’à la réinsertion sociale des détenus. Dans une récente intervention sur les ondes de Mosaïque FM, Bassem Trifi, le président de la ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH) a déclaré que « les conditions dans les centres de détention tunisiens sont inhumaines, pour la plupart d’entre eux » affirmant qu’il parle « sur la base d’inspections et de visites effectuées dans ces centres ». En fait, il ressort des visites de certaines organisations sociales de défense de droits humains, que les prisons sont de plus en plus encombrées. Selon une étude de l’Association « avocats sans frontières » (ASF) un nombre de détenus d’environ 22.000 entre 2017 et 2019 ne cesse actuellement de croître. « La politique carcérale semble stagner ces dernières années. Le taux d’incarcération de 181 personnes pour 100 000 habitants, fait de la Tunisie le 2e pays d’Afrique du Nord avec le taux d’incarcération le plus élevé ». Ajoutant que « La surpopulation carcérale est la cause première de conditions de détention en deçà des standards internationaux ne permettant pas la réinsertion des détenus : co-détention de primo-délinquants et de multirécidivistes, de condamnés et de détenus préventifs (et donc présumés innocents) ». Les détenus sont enfermés dans des sortes de chambrées, qui sont de grands dortoirs systématiquement suroccupés. Les lits ne suffisent pas à tous les détenus, dont ceux qui ne trouvent pas de place sont acculés à dormir par terre.
Mettre l’accent sur la réhabilitation
Cela est en dépit de l’effort des autorités à rénover, avec la construction de certaines prisons dont celle de Mornaguia, avec de meilleures conditions pour les détenus. Certes une prison est destinée à limiter la liberté de ceux qui ont commis des fautes, et les détenus savent bien qu’ils vont être privés de confort. Seulement, il ne faut pas qu’ils soient acculés à vivre dans des conditions inhumaines, sans le minimum vital. Y compris que la conception moderne de l’incarcération en prison a évolué au fil du temps en réponse à diverses considérations, notamment les objectifs de la peine, les droits de l’homme, les réformes judiciaires, et les résultats empiriques sur l’efficacité des différentes approches. L’approche moderne met l’accent sur la réhabilitation des détenus et leur réinsertion réussie dans la société. L’idée est de fournir des programmes éducatifs, de formation professionnelle et des services de réadaptation pour aider les détenus à acquérir des compétences et à changer leur comportement, réduisant ainsi le risque de récidive. Il y va du respect des droits de l’homme et de la dignité des détenus. Cela inclut le traitement humain, des conditions de détention décentes, l’accès aux soins de santé et aux services sociaux, ainsi que le respect des droits légaux et procéduraux.
Opter pour les peines alternatives
Certes, il ne faut nier qu’il y a des efforts dans ce sens par les autorités en vue d’une politique carcérale qui soit dans le sens de la réinsertion. Mais ce sont les moyens qui manquent. Par ailleurs et sur le plan judiciaire, il est nécessaire qu’il y ait un effort supplémentaire afin d’éviter l’incarcération par des peines alternatives surtout concernant la petite délinquance. Ce qui permettrait de mieux désengorger les prisons. Parmi les peines alternatives il y a le travail d’intérêt général (TIG) qui est rarement appliqué. Il consiste pour le condamné à travailler gratuitement, pendant une durée fixée par le juge, pour un des organismes publics. Par ailleurs, il est important que les agents des prisons soient mieux formés afin de pouvoir faire face aux exigences des détenus dans le milieu carcéral et à leur psychisme. Il y eu plusieurs dépassements de la part de certains agents que ce soit en trempant dans la corruption et même le trafic de drogue. A titre d’exemple, les agents qui ont été sanctionnés dernièrement à la suite de l’évasion de la prison de Mornaguia, des cinq terroristes qui ont été très vite arrêtés et ramenés au bercail. Il est nécessaire qu’il y ait une meilleure politique de recrutement et de formation d’agents idoines, et aptes à gérer avec sagacité et vigilance le milieu carcéral.
En fait, la conception moderne de l’incarcération continue d’évoluer à mesure que les sociétés cherchent à trouver des approches plus efficaces et éthiques pour gérer la délinquance et réhabiliter les contrevenants. Des efforts sont entrepris par les autorités tunisiennes, mais il reste encore à faire afin de parvenir à une politique carcérale dans laquelle participent toutes les parties prenantes dont le secteur judiciaire afin de parvenir à réaliser un équilibre entre la sanction et la réhabilitation. Cela est dans le but d’éliminer l’idée que la prison, comme l’affirme le philosophe français Michel Foucault : « fabrique des délinquants, par le type d’existence qu’elle fait mener aux détenus, en leur imposant des contraintes violentes ».
Ahmed NEMLAGHI