Le déclenchement de la pandémie de Covid en 2020 a marqué le début d’une séquence d’événements exceptionnels qui ont propulsé les taux d’inflation à des sommets inédits depuis plusieurs décennies aux Etats-Unis en 2022.Au début de la pandémie, les confinements ont entraîné des contraintes s’approvisionnement, suivies d’incitations monétaires et fiscales extraordinaires qui ont stimulé la demande. Les prix ont subi une pression accrue à cause de la pénurie en main-d’œuvre et d’un choc majeur sur les matières premières déclenché par la guerre russo-ukrainienne, entraînant une augmentation du taux d’inflation à 9.1%, culminant en juin 2022.
Inflation des prix à la consommation aux Etats-Unis
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En outre, face à une inflation nettement supérieure à l’objectif de la politique monétaire, la Réserve Fédérale (la ” Fed”) a réagi, bien que cette réponse a été précédée de quelques hésitations initiales. La Fed s’est engagée dans un cycle de resserrement record des taux directeurs afin de contribuer à la réduction de l’inflation. Dès lors, l’inflation a amorcé une trajectoire à la baisse, bénéficiant grandement de la chute des prix de l’énergie ainsi que de la normalisation de la chaîne d’approvisionnement.
Compte tenu des avancées notables réalisées jusqu’à présent dans la réduction de l’inflation et des surprises positives révélées par les dernières publications de l’IPC, certains analystes de marché évoquent la possibilité de réductions des taux d’intérêt dès le premier trimestre 2024. Cependant, à notre avis, bien que le ralentissement actuel de l’activité économique contribue davantage à la baisse des taux d’inflation, le progrès pourrait se faire de manière graduelle. Par conséquent, nous prévoyons des réductions des taux directeurs plus tard, au cours du deuxième trimestre 2024.
De plus, même après quelques séries de baisse de taux, nous anticipons toujours que les taux directeurs resteront à des niveaux plus élevés qu’avant la pandémie pendant un certain temps. Dans cet article nous examinons les deux principaux facteurs qui étayent notre point de vue.
En premier lieu, il y a une limite à la capacité des coûts de l’énergie à maintenir la baisse de l’inflation. En juin de l’année dernière, le prix du pétrole Brent a atteint en moyenne 124 USD par baril (p/b), comparé à 64 USD p/b en janvier 2020, avant le début de la pandémie de Covid. Par conséquent, lors du pic de l’augmentation des prix, les coûts de l’énergie représentaient 3 points de pourcentage (p.p.) de la totalité de l’inflation. Ces tendances se sont ensuite inversées : avec la chute des prix du pétrole Brent à environ 75 USD le baril en juin 2022, les coûts de l’énergie ont contribué à la baisse de l’inflation.
Cependant, depuis le milieu de l’année 2023, les prix du pétrole sont demeurés relativement stables en raison des réductions prolongées de la production de l’OPEP+ du côté de l’offre, ainsi que des surprises positives du côté de la demande, liées à l’amélioration des attentes de croissance pour les principales économies mondiales (Etats-Unis, zone euro, et la Chine). A l’avenir, en l’absence de chocs négatifs majeurs dans l’économie mondiale, les prix de l’énergie ont peu de marge supplémentaire pour apporter une autre contribution significative à la réduction de l’inflation.
Croissance des salaires aux Etats-Unis
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En deuxième lieu, les tensions sur les marchés du travail persistent, alimentant les revendications de salaires plus élevés de la part des travailleurs et maintenant la pression sur les coûts de main-d’œuvre pour les entreprises. Aux Etats-Unis, le taux de chômage s’élève en moyenne à 3,8 %, se rapprochant des niveaux historiquement bas. Les marchés du travail tendus renforcent la position des travailleurs lors des négociations salariales.
Pour mesurer l’évolution des salaires, un indicateur utile est fourni par le Wage Tracker. Il indique une augmentation des salaires à un taux de 4,4% aux Etats-Unis, soit nettement supérieur à la moyenne de 3,2 % des deux années précédant la pandémie. Bien qu’il y ait des signes d’apaisement sur le marché du travail, il faudra plusieurs trimestres pour que la croissance des salaires, actuellement supérieure aux taux d’inflation, revienne à des niveaux normaux. La décélération de la croissance des salaires est un autre signe d’une baisse de l’inflation, dans la mesure où la pression sur les coûts des entreprises est moindre, même si le rythme et le calendrier de l’amélioration ne sont pas clairs.
Dans l’ensemble, l’inflation a considérablement diminué par rapport à son pic aux États-Unis et devrait continuer de se modérer au cours des prochains mois. Toutefois, la Fed devrait faire preuve de prudence et privilégier l’attente de progrès évident dans la réduction de l’inflation hors énergie avant d’envisager la baisse de ses taux directeurs, évitant une action prématurée.