La toute dernière rencontre organisée par le Club de dialogue des écrivains francophones a été consacrée au thème de l’adaptation cinématographique d’œuvres littéraires. A cette occasion, Mme Fethia Brouri, présidente et animatrice du Club, a invité un groupe de cinéastes et de professeurs de littérature pour participer au débat. Des habitués du Club (poètes, écrivains, journalistes…) étaient présents et ont participé aux discussions qui étaient très intéressantes. Rappelons que le Club de dialogue des écrivains francophones exerce depuis plusieurs années sans interruption sous la tutelle de l’Union des écrivains tunisiens (UET) , à raison d’une séance tous les quinze jours, en invitant plusieurs créateurs, notamment dans le domaine littéraire, pour discuter de leurs nouvelles créations.
Du mot à l’image
Deux modes d’expression, la littérature et le cinéma se croisent souvent et ils aspirent à la créativité en inventant leur propre langage. Ils se montrent complices et concurrents à la fois et s’adressent à leur manière au lecteur et au spectateur. L’adaptation au cinéma d’un récit littéraire ne contribue-t-il pas à une meilleure compréhension de l’œuvre ou, au contraire, elle ne fait que puiser ses sujets dans la littérature pour en faire une nouvelle vision de l’œuvre et par là-même permettre au réalisateur d’exposer ses intentions personnelles et ses capacités créatives ? Telles étaient les sujets abordés ce jour-là par les conférenciers et par les assistants.
En effet, il y a toujours eu une influence du cinéma sur la littérature et inversement. L’un des participants, un réalisateur de films, a mentionné dans son intervention l’exemple de « Voyage dans la lune » de Jules Verne en 1902. Un autre, professeur de littérature, a parlé du récit de Gustave Flaubert « Un cœur simple » adapté à l’écran par Marion Laine en 2008. Ces deux exemples ont animé la discussion parmi l‘audience. L’adaptation des textes littéraires pour le cinéma est une pratique habituelle bien que les deux arts aient une autonomie narrative assez marquée. En effet, nous sommes en présence de deux univers différents : la littérature et le cinéma : un mode verbal et un monde audio-visuel. Et c’est le passage d’un mode à l’autre qui pose parfois des problèmes. Il y a donc toujours ce souci de transformer, d’ajouter ou de supprimer des éléments. Et c’est là où le réalisateur jouit de toute sa liberté en passant du texte à l’image.
Entre fidélité et création
Il existe un autre aspect problématique qui revient toujours quand on parle d’adaptation littéraire, celui de la fidélité, puisque le fait d’adapter implique parfois une modification profonde de toutes les structures de l’œuvre. Certains participants ont mis l’accent sur la relation complexe entre les deux champs de créativité posant la question de la fidélité au texte dans les adaptations cinématographiques. En effet, plus de 40% de ce qui a été fait en cinéma depuis sa création tient sa source dans la littérature. Cette relation incontournable a enrichi le cinéma et la littérature à la fois. Cependant, y a-t-il fidélité ou trahison dans l’adaptation d’un texte littéraire au cinéma ?
La question de la fidélité au texte se pose toujours au cinéaste comme un challenge dans le cas de l’adaptation. Dans quelle mesure et à quel degrés peut-on être fidèle au texte d’origine ? Certains assistants considèrent que toute adaptation peut porter atteinte à la forme et à l‘esprit de l’œuvre littéraire. En effet, le mot « adaptation » vient du mot latin « adaptare » qui veut dire « ajuster à », ce qui présuppose que l’œuvre puisse changer de forme et que les ajustements effectués par les adaptations cinématographiques soient traités globalement comme des infractions, des atteintes portées à l’intégrité de l’œuvre littéraire.
Cependant, le critère de fidélité ou d’infidélité n’est plus considéré par les critiques de nos jours comme un élément principal dans l’adaptation à l’écran d’une œuvre littéraire, sachant que le réalisateur du film est souvent enclin à apporter des changements parfois radicaux dans sa création cinématographique, comme par exemple, les suppressions, les déformations , les inventions, les ajouts, les déplacements… Du fait que la production cinématographique est un art, le réalisateur doit y mettre toute sa créativité, tout son génie et surtout toutes ses émotions et peut-être ses convictions personnelles.
Bref, à travers les discussions, on a pu retenir qu’il est presqu’impossible de transposer à l’écran la lettre ou même l’esprit d’un texte littéraire : une fidélité absolue n’est pas toujours certaine. De plus, certains intervenants ont insisté sur le fait qu’il y a une certaine marge de liberté chez le réalisateur du film, c’est qu’il ne se sent pas nécessairement lié de quelque manière que ce soit à l’œuvre littéraire. Dès lors, l’adaptation d’un roman à l‘écran n’est pas tout simplement une imitation, mais plutôt une création.
Il est à signaler que cette rencontre a été agrémentée par un divertissement poétique assuré par le grand poète Mokhtar El Amraoui qui a excellé dans sa lecture du poème intitulé « Ciné poème »
Hechmi KHALLADI