La révolution tunisienne a donné un nouvel essor à l’art contemporain avec l’émergence d’une nouvelle génération d’artistes dont les pratiques artistiques ont radicalement changé les connotations préexistantes et les valeurs esthétiques, s’éloignant de plus en plus des sentiers battus. Oumaima Ben Soltane compte parmi ces artistes qui ont opté pour des recherches artistiques plus évoluées et pour des démarches innovantes dans la création plastique en Tunisie. Je l’ai rencontrée pour la première fois en 2012, lors d’une exposition à Ibn Rachiq organisée en duo avec sa collègue Gouirah. Mais depuis cette date, Oumaima a fait des pas de géant dans son parcours qui, semble-t-il, a fait un tournant décisif.
En effet, dans son actuelle exposition intitulée « Ness » qui se déroule à la Galerie DADA au Bardo, le visiteur découvrira un univers mélangé de réel et d’imaginaire, plein de symboles, de signes et de formes irrégulières, qui tiennent souvent de la métaphore. C’est une exposition qui propose des dizaines de tableaux représentant des visages et des corps féminins disloqués, défigurés, géométrisés et stylisé. Ebranlant les codes figuratifs traditionnels, l’artiste s’attaque à la représentation humaine, pour en donner une image disloquée, géométrisée, déformée, défigurée. L’artiste vise l’expression, le trait qui caractérise une personne dans sa singularité, moyennant la fragmentation de l’image et le morcellement du corps humain. Et ce, pour exprimer l’éclatement de la perception et du « moi » de l’homme d’aujourd’hui.
Des tableaux qui éblouissent les yeux jusqu’à l’illusion, enflamment les sentiments et les sensations et chatouillent le cœur des visiteurs, toujours avides de nouveautés. On se ballade entre les œuvres qui nous offre un monde magique tout en couleurs qui trace la vérité primitive et cachée de l’être humain et par-là même nous renvoie aux secrets de l’âme humaine.
Le visiteur rentre chez lui sans doute avec une infinité de questions et d’interprétations après avoir contemplé les œuvres d’Oumaima, qui d’ailleurs ne sont pas comparables, en contenu et en démarche, aux autres travaux anciens de l’artiste elle-même ni aux créations d’autres artistes dans la sphère picturale en Tunisie. C’est ainsi que notre artiste se distingue et se démarque des autres démarches jusque-là adaptées par une grande majorité de nos artistes. Elle se forge ainsi une ligne de conduite propre à elle, basée sur une nouvelle recherche plastique, une imagination débordante et une créativité originale.
Les peintures de Ben Soltane ne se limitent pas à présenter des formes ou des figures humaines, des bras ou des mains invraisemblables ou incohérentes, mais elles véhiculent un message profond : dévoiler et démasquer le monde terrifiant, inquiétant et traumatisant où nous vivons et peut-être les atrocités commises contre l’humanité, aujourd’hui et à travers l’histoire. C’est qu’on ressent à travers ces œuvres une étreinte constante et une étrange connexion entre le présent et le passé. Dès lors, la démarche artistique de Ben Soltane semble rompre avec les démarches conventionnelles pour emprunter une nouvelle voie dans le domaine de la création artistique. En outre, ses œuvres dévoilent des dimensions engagées sur le plan social, religieux, politique et autres. Elle a ainsi imposé des mutations conceptuelles et formelles et une nouvelle réflexion de fond sur l’œuvre d’art dans sa relation au monde contemporain et à ses interminables perturbations. Bref, les œuvres exposées cherchent à susciter des émotions chez le visiteur tout en lui laissant libre cours à ses interprétations.
« Mes recherches, peut-on lire sur le site de l’artiste, ont été axées sur la représentation du corps féminin dans l’art. J’aime explorer différentes techniques et approches artistiques pour donner vie à mes idées et exprimer mes émotions à travers l’art. » C’est dans ces propos que se résume la nouvelle approche artistique d’Oumaima Ben Soltane, cette jeune artiste dont les nouvelles créations sont bouleversantes certes, mais innovantes et prometteuses.
Hechmi KHALLADI