En Tunisie, plus d’une personne sur cinq déclarent se sentir souvent ou toujours seules. Elles ne parlent à personne, ni à un membre de leur famille, ni à leur voisin, ni à des proches. Et cette pauvreté relationnelle est le terreau de la perte d’autonomie. En réalité, l’isolement concerne potentiellement chacun d’entre nous.  La souffrance qu’il crée ne tient pas tant à ses conséquences directes, mais à cause du mal-être que cela engendre. Y a-t-il des personnes plus susceptibles que d’autres d’être isolées ? Quelles sont les causes et les conséquences de l’isolement des personnes ? Les explications de Dr. Henda Fatnassi, psychiatre.

Le Temps.news : L’isolement a-t-il un impact sur la santé mentale ? Quels sont ses symptômes ?

Dr. Henda Fatnassi : De nombreux travaux ont révélé que l’isolement pouvait augmenter le risque de dépression, d’anxiété, de psychose, de troubles psychologiques et aussi aggraver ces situations si elles étaient préexistantes. Il semble en effet que l’homme ne soit pas conçu pour vivre seul… Les conséquences peuvent être importantes : baisse  d’estime, manque de  confiance en soi , phobie  sociale, trouble de la personnalité, repli sur soi, schizophrénie, délire paranoïaque sans oublier la   fatigue sociale qui est un phénomène complexe qui se caractérise par un  épuisement émotionnel  et psychologique résultant d’une interaction prolongée avec autrui, du poids des normes sociales, et des exigences relationnelles. Cette condition émerge souvent lorsque les individus ressentent une pression constante pour répondre aux attentes sociales, maintenir des relations interpersonnelles et s’adapter aux normes sociales en vigueur. Les conséquences de la fatigue sociale s’étendent au-delà de la sphère émotionnelle, affectant également la santé mentale et physique des individus qui en souffrent.

Quelles sont les personnes cibles ?

Tout le monde peut être atteint de l’isolement social, quel que soit l’âge et le sexe qui peut apparaître à n’importe quel âge, mais il y a des statistiques qui démontrent une augmentation massive chez les personnes plus âgées. Une personne âgée sur quatre est touchée par l’isolement. Autrefois apanage des adultes, le sentiment de solitude étreint de plus en plus les adolescents et maintenant les enfants.  L’isolement se traduit par un changement soudain de comportement, un isolement systématique de l’enfant ou une timidité excessive, un manque de confiance en soi, une tristesse et un renfermement, des difficultés scolaires, un  refus scolaire, une phobie scolaire, des addictions aux jeux vidéo

Quelles en sont les conséquences ?

L’isolement est une réalité pour de nombreuses personnes. Que ce soit à cause de la perte de leur conjoint, de l’éloignement géographique de leur famille ou de la diminution de leurs capacités physiques, les personnes  peuvent se retrouver isolées et seules. Cette situation peut avoir des conséquences très néfastes sur leur santé physique et mentale, leur qualité de vie et leur espérance de vie. L’isolement est associé à une augmentation du risque de développer des maladies cardiovasculaires, des troubles du sommeil et une diminution de l’espérance de vie. De plus, la situation est déprimante pour la personne et l’isolement social peut également entraîner une augmentation du risque de dépression et d’anxiété chez les personnes âgées.

L’isolement peut également avoir un impact sur la qualité de vie des personnes âgées. En effet, les personnes isolées ont souvent moins de contacts sociaux, ce qui peut conduire à une diminution de leur estime de soi et de leur confiance en elles. De plus, l’isolement social peut également entraîner une diminution de la participation à des activités sociales et culturelles, ce qui peut avoir un impact sur le bien-être de la personne et créer un cercle vicieux. Cet isolement se poursuit avec l’internet et l’addiction et peut engendrer des comportements inhabituels comme l’augmentation de la consommation de produits (tabac, alcool, cannabis…) ou l’augmentation du temps passé devant un écran (pour jouer, travailler, acheter…). Le risque pourrait être de voir apparaître une perte de la maîtrise de ses envies et des  gestes auto-agressifs qui ne sont pas un trouble à part entière, mais signifient que la personne seule a besoin de soin et de soutien, c’est un signe qui nous alerte sur la santé mentale de quelqu’un, car souvent ces pratiques peuvent être associées à des idées suicidaires.

Comment traiter l’isolement ?

Le réflexe que l’on peut avoir face à ces comportements, c’est de vouloir les stopper rapidement, c’est un processus long et difficile et il faut pouvoir identifier les déclencheurs qui provoquent ces comportements chez le patient. Il faudrait mettre en place un traitement visant les symptômes de la maladie et surveiller leur évolution. De même, il sera essentiel de prendre en charge les complications éventuelles (dépression, addiction…)Le traitement de l’isolement lui-même est principalement psychothérapeutique. La thérapie interpersonnelle  (TIP)  et la  thérapie cognitive et comportementale sont à privilégier dans cette situation.

Le diagnostic doit être posé par un psychiatre afin d’organiser la stratégie thérapeutique. L’aide en thérapie consiste alors à identifier les mécanismes qui ont entraîné l’isolement social et la souffrance qui l’accompagnent, à mettre en exergue les difficultés concrètes (situation sociale, etc…) tout en tenant compte des souhaits de la personne. Il est tout à fait possible d’aider ces personnes en situation d’isolement à développer des compétences sociales. Lutter contre l’isolement social nécessite des efforts et des stratégies visant à créer des liens avec les autres.

Les techniques appliquées par le psychiatre vont apprendre au patient à se mettre en situation sociale, briser la glace, créer la discussion, développer le lien. Les thérapies cognitives et comportementales (TCC) permettent de traiter l’isolement en ciblant les croyances erronées que nourrit le patient sur lui-même, les autres, ou la façon de rentrer en contact avec l’autre. Ces patients ont souvent des préjugés sur les relations humaines, qui les angoissent, ou les amènent à éviter les relations interpersonnelles. Lutter contre l’isolement social nécessite de renforcer l’écosystème relationnel activant le tissu social proche pour faciliter les rencontres, les interactions et la participation des personnes.

L’engagement volontaire des citoyens, des personnes concernées elles-mêmes, des habitants, des voisins est essentiel. Des actions peuvent être mises en place  pour l’accompagnement et l’aide des personnes isolées comme les activités de loisirs culturelles ou sportives qui peuvent être adaptées à leurs possibilités, des activités favorisant leur maintien en bonne santé, le développement de nouvelles formes d’habitat   qui constituent une alternative à la vie à domicile isolée et à la vie collective en établissement : habitat inclusif, habitat partagé… Sortir de l’isolement, renouer des liens sociaux de qualité, retrouver la reconnaissance des autres et une meilleure estime de soi-même, incite à participer à la vie de la société et, ainsi, à exercer sa citoyenneté.

  Interview réalisée par Kamel BOUAOUINA