Alliant instruments traditionnels et sonorités modernes, un nouveau projet musical, baptisé « Cosmos Band », fait irruption à Béja. Du saxophone et de la guitare donnant réplique au ney, à la zoukra et au mezoued sur fond de bendir, de tabbal et de batterie électronique ; le tout « mis en show » en concerts pendant le ramadan pour un coup de jeune au répertoire chaâbi.
Pour ses fondateurs, le projet Cosmos Band a comme principal objectif de mettre en valeur le patrimoine musical chaabi tunisien en lui donnant un nouveau souffle à même d’intéresser les nouvelles générations, entre public et musiciens. Le groupe vise, par la même occasion, à valoriser des instruments traditionnels tels que le bendir, la tabla, la gasba, le ney et le mezoued en les mettant en exergue dans des concerts audacieux, notamment sur le plan rythmique, en compagnie d’instruments occidentaux. Deuxième grand défi qui a accompagné la genèse du groupe : réunir une pléiade de musiciens locaux venus d’horizons divers et ayant des bagages sonores très différents, parfois même à l’antipode, autour d’un projet musical commun.
« Projet passionnant »
A en croire Maher Badira, co-fondateur et jeune leader du groupe, créer une entente et provoquer des affinités était, dans un premier temps, tout sauf facile. « L’idée était de réunir une quinzaine, voire une vingtaine de musiciens de trois âges et d’univers musicaux différents autour de ce que j’appellerais ‘une expérimentation’ », confie-t-il au journal Le Temps. « Il n’était guère facile, par exemple, de convaincre Mahmoud jeune saxophoniste féru de blues et de jazz, son frère Ahmed, percussionniste plutôt attiré par des rythmes occidentaux, ou Makrem, guitariste passionné de rock et de métal, de faire avec nous du mezoued, du chaabi et du soufi », nous raconte Maher. « De même, dire à Hamadi, qui est mon propre père, et qui est de la vieille école, ayant mené une longue carrière avec sa troupe de musique soufie, qu’on allait faire de la hadhra, de la soulemiya ou de la Issaouiya avec un saxophone et une batterie électronique était tout sauf chose aisée. » (Rires) « Le conflit de génération est tout à fait présent, cela va de soi », reconnait Badira, visiblement amusé, « mais c’est ce qui rend ce projet encore plus passionnant ».
Cosmos Band, en somme, se compose, d’un côté, de très jeunes talents locaux passionnés de musique occidentale et, de l’autre côté, de vieux briscards qui ont fait du chemin dans la musique chaâbi, essentiellement dans le mezoued et le soufi. Fraîcheur et audace rythmique d’un côté, grande maîtrise des instruments traditionnels, de l’autre : le concert inaugural, dimanche dernier, était, effectivement, plein de promesses. Un avant-goût qui annonce, d’ailleurs, une série de concerts thématiques qui meubleront les soirées ramadanesques à Béja. Cerise sur le gâteau : un travail de mise en scène pour une bouffée de fraîcheur et de jolis moments de divertissements dans une ville qui manque terriblement d’événementiel musical.
« Avoir du talent ne suffit pas »
« Il est très difficile de faire de la musique en Tunisie de manière générale et à Béja en particulier », déplore Maher Badira. « Avoir du talent, de la passion et des idées ne suffit pas. Un espace très bien équipé pour les répétitions, le côté managérial et le volet logistique sont des conditions sine qua non pour faire ‘convenablement’ de la bonne musique », explique-t-il. « Notre projet musical a d’ailleurs été rendu possible grâce au précieux apport des jeunes frères Melki (Seyf et Chiheb) propriétaires et gérants de Cosmos Coffee, qui ont cru en nous et qui ont assuré le volet tant logistique que technique et financier pour que ce projet voit le jour. »
Seyf, le cadet des frères Melki, se livre ainsi au journal Le Temps : « Nous avons œuvré depuis au moins deux ans pour faire de Cosmos coffee une incontournable scène de musique : nous avons invité plusieurs troupes locales, nationales et même internationales, et nous avons encouragé les amateurs et les artistes en herbe à se produire sur notre scène. Maintenant on franchit carrément un pallier : avec Cosmos Band, je me considère moi-même une partie prenante d’un projet musical et artistique ambitieux. Avec Maher et sa bande, le courant a tout de suite passé, on partage les mêmes idées, et dès les premières répétitions, je me suis rendu compte que j’étais plus qu’un mécène pour ce groupe pétri de talent, je fais carrément partie du projet »
Et Maher Badira de surenchérir : « Grâce aux frères Melki, nous avons maintenant notre propre espace de répétitions, une scène et un public, mais aussi un soutien moral et logistique inestimable. Pour le reste, c’est à nous, musiciens, de travailler dur pour que ce projet progresse et devienne chaque jour un peu plus grand ». « Pour le moment, nous nous concentrons sur un programme déjà très riche pendant le ramadan avec plusieurs concerts thématiques. Nous valorisons le patrimoine musical traditionnel et ses instruments à travers des reprises. Ensuite, il nous faudra du temps et autant de travail acharné pour parvenir à créer nos propres morceaux », conclut-t-il.
Slim BEN YOUSSEF