Dans l’avenir, il est probable que l’importance de l’éthique en médecine continuera de croître, car la société exige de plus en plus de transparence et de responsabilité dans les soins de santé comme l’a souligné Professeur Jalloul Daghfous, ancien président du Comité national d’éthique médicale, qui a animé un débat sur l’éthique médical (CNEM), organisé par le club de Nabeul.
L’éthique vient étymologiquement du grec « ETHOS » qui signifie « manière d’être et de se comporter selon les mœurs. L’éthique fait partie intégrante de la médecine. C’est un domaine en constante évolution, en réponse aux changements rapides et complexes dans la pratique médicale et les technologies médicales. Tout d’abord, quand on parle d’éthique, on ne peut pas faire abstraction de la morale. Ces deux concepts sont en effet indissociables. Ils se rapportent tous les deux à des règles de bonne conduite. Mais l’éthique se différencie par son association à l’exercice d’une activité professionnelle spécifique.
Éthique, morale ou déontologie ?
L’éthique est un mot ancien inventé par les philosophes grecs pour désigner les bonnes manières, l’honnêteté, le courage. D’ailleurs, on l’assimile souvent à la morale. Or notre société a beaucoup évolué et le mot éthique a évolué, car nous devons apprendre à vivre avec les énormes progrès des connaissances de la biotechnique et surtout informés des risques et de l’usage inconsidéré de chaque nouvelle technologie. Ces progrès imminents réalisés notamment dans le domaine médical autant ils peuvent être bénéfiques à l’homme et à son épanouissement autant ils peuvent conduire à des dérives.
Aussi l’homme va-t-il se trouver confronté d’une part le grand espoir placé dans l’amélioration de notre santé grâce aux progrès technologiques et scientifiques. Mais également on doit mesurer le risque et les dérives qui doivent nous faire réfléchir aux frontières entre ce qui est souhaitable et les prétentions inacceptables. Le médecin se trouve donc devant de nouvelles situations très complexes qui le poussent à réfléchir et à faire des choix pour retrouver le chemin d’une meilleure humanité. Ce choix n’est pas facile. Il doit passer par des questionnements : qu’est ce qui est bon et qu’est ce qui est inacceptable ?
Ce questionnement est le cœur de l’éthique. C’est l’art de mettre en balance les avantages et les inconvénients du progrès scientifique en général et en médecine en particulier. L’éthique est donc un comportement qui s’adapte à chaque situation et garantit le respect des droits de l’homme, des libertés fondamentales et de la protection de la santé.
L’éthique se distingue de la morale qui est inflexible et qui obéit à l’idéologie philosophique, religieuse ou sociale. Elle se distingue également de la déontologie qui règle l’ensemble des problèmes de la profession et obéit à des règles imposées et non proposées. Leur transgression expose à des sanctions.
Organisme consultatif
Afin de comprendre le parcours de la réflexion éthique, le professeur Jalloul Daghfous, a exposé l’exemple du Comité national d’éthique médical tunisien (CNEM). En effet, la Tunisie a tiré un profit maximum des progrès technologiques et scientifiques. Nos équipes médicales pratiquent le diagnostic prénatal, les greffes d’organes, le diagnostic génétique… Si elles ont profité du triomphe de la science, elles seront de plus en plus exposées aux abus et aux dérives. Pour éviter tout dérapage incontrôlé, l’Etat tunisien a créé un espace éthique dans la ligne des pays occidentaux : la loi n° 91-63 du 29 juillet relative à l’organisation sanitaire a donné naissance à un comité d’éthique et le considère comme un organisme consultatif.
L’éthique devient donc une préoccupation officielle. Deux aspects importants sont à souligner :
1- C’est un texte législatif qui consacre la création du CNEM. Ce qui lui confère un statut légal ;
2- C’est un organisme consultatif qui a été mis en place. Le décret du 19-9-94 a fixé l’attribution et les modalités du CNEM.
Ce texte précise dans son article premier que le Comité national d’éthique médicale a pour mission de donner son avis sur les problèmes moraux qui sont soulevés par la recherche dans les domaines de la biologie, de médecine et de la santé et qui concernent l’homme, les groupes sociaux ou la société toute entière. Le comité s’attache, en autres, à édicter les grands principes qui permettent de concilier le progrès technologique dans les domaines indiqué au précédent aliéna avec les normes éthiques et juridiques, les valeurs humaines, les droits de l’homme et les réalités sociales, économiques et culturelles.
Outre son Président, le CNEM comprend 28 membres de différentes disciplines : un membre du conseil constitutionnel, un membre du Conseil supérieur islamique, un membre du Comité supérieur pour les droits de l’homme et des libertés fondamentales, un conseiller à la Cour de cassation, un conseiller du Tribunal administratif, un professeur de philosophie, un professeur de sociologie et un professeur de droit, deux chercheurs intéressés par les questions relevant du domaine d’activité du comité. Les présidents des conseils nationaux des ordres des médecins, des médecins dentistes, des médecins vétérinaires et des pharmaciens ou leur représentant. Six personnalités intéressées par l’éthique médicale désignées par le Ministre de la Santé Publique. Une personnalité du secteur social (ministère des Affaires sociales) et une personnalité du secteur de l’information.
Manifestations scientifiques
La direction de la tutelle des hôpitaux au ministère de la Santé assure le secrétariat du dit comité. Son rôle est essentiellement consultatif. Il n’a ni le pouvoir de légiférer ou de réglementer. Selon les dispositions de l’article 5 de son texte fondateur, le CNEM peut être saisi pour avis consultatif par différents organismes nationaux. . Il peut également se saisir lui-même des problèmes bioéthiques d’actualité. Depuis sa création en 1995, le CNEM a contribué de façon significative au développement et au renforcement de l’éthique médicale dans tous les milieux de la société tunisienne par les conférences annuelles (ouvertes au public), les avis qu’il présente au gouvernement, les colloques qu’il organise, les conférences qu’il donne à toutes les manifestations scientifiques auxquelles ses membres participent, la participation à l’enseignement de l’éthique…
Le Comité national d’éthique médicale publie régulièrement les activités entreprises dans le cadre de ses missions telles les avis, les actes conférences annuelles, la Rencontre internationale sur la bioéthique, le Colloque maghrébin de bioéthique. D’ailleurs, nous avons organisé deux grands colloques internationaux sur « les valeurs universelles et diversité culturelle » et sur « les conflits d’intérêt en santé ». A Signaler que les actions ont eu des retombées positives dont la création de comités d’éthique locaux, l’émergence de la culture éthique et l’initiation à la création de comités d’éthique dans les pays arabes et surtout l’élaboration fondamentaux émis par le la loi relative à la médecine de reproduction (PMA) et surtout l’élaboration de la loi relative à la médecine de reproduction n° 2001 -93 du 7-4 2001 reproduit les principes éthiques fondamentaux émis par le CNEM. Cette loi est un acquis pour la société tunisienne.
Avant de terminer, le Pr Daghfous a rendu hommage à trois personnalités disparues qui ont fortement contribué à la création de l’éthique médicale, faisant de la Tunisie une nation pionnière en matière de bioéthique dans le monde arabe et même en Afrique. Il s’agit du professeur Daly Jazi qui a fortement contribué à instituer le CNEM et promouvoir la réflexion éthique dans le domaine de la santé dans les institutions universitaires quand il était au ministère de l’enseignement supérieur. Les professeurs Béchir Hamza et Abdelaziz Ghachem ont aussi joué un rôle important dans la création du Comité national d’éthique. Lors de l’institution du CNEM, la chance avait permis à Pr. Béchir Hamza et Pr. Abdelaziz Ghachem d’être appelés à la présidence et à la tête de la section technique, deux postes qu’ils ont occupé jusqu’à la fin de leur vie. Chacun avec son génie propre mais dans une parfaite communion de correction et de courtoisie, ils nous ont donné la plus belle leçon d’efficacité.