Les notions de tourisme responsable, durable, solidaire, équitable et communautaire sont utilisées pour nommer ces nouvelles formes de tourisme. Ainsi, les hôtels de charme, les gîtes, les maisons d’hôtes et autres Dar se disputent les faveurs d’une clientèle de plus en plus tournée vers la nature, l’authenticité, le contact avec l’habitant. Pour mieux restructurer cette filière en Tunisie, le Groupement des Hébergements Durables et Alternatifs de la Fédération Interprofessionnelle du Tourisme Tunisien (FI2T) a organisé en partenariat avec l’Office National du Tourisme Tunisien (ONTT) une table ronde  sur l’état des lieux de l’hébergement alternatif touristique en Tunisie. à Carthage Hill, une maison d’hôtes charmante à La Marsa.

Les professionnels du secteur, longtemps demeurés à la marge du mouvement, ont été impliqués dans cette opération. Et il y a urgence ! Il est donc désormais impératif de repenser ce secteur et  d’inventer de nouvelles stratégies en vue le booster.Tourisme alternatif, ça se paie aussi. Pour faire plaisir à ses clients, il faut s’offrir les moyens de la réussite comme l’a précisé Amel Djait, la modératrice de ce débat

Le tourisme alternatif ou le tourisme de demain 

Le tourisme de demain plus connu sous le nom de tourisme alternatif ou durable  est une façon de voyager autrement qui apparaît à la fin du 20ème siècle dans le monde. Celui-ci respecte les équilibres écologiques, économiques et sociaux et désigne toutes les formes de tourisme offrant une alternative au tourisme de masse: tourisme vert, slowtourisme, solidaire, écotourisme, responsable, social. Ces phénomènes ont pour finalité de respecter, préserver et valoriser les ressources naturelles, culturelles et sociales d’un territoire à l’attention des touristes accueillis .Le succès de ce mode d’hébergement repose sur les aspirations sociétales d’authenticité, d’échange et de partage (immersion dans la vie locale, établissement d’un lien social fort, sentiment de vivre une expérience).Toutefois ce secteur d’activité est confronté à une mutation structurelle liée à plusieurs facteurs :la montée en gamme de l’offre : les attentes des consommateurs évoluent au profit d’une offre d’hébergement plus haut de gamme. Les propriétaires de gîtes et de chambres d’hôtes sont donc contraints de consentir des investissements importants pour s’adapter à la demande (jardin paysagé privatif, piscine, spa, équipements multimédia, mobilier design, etc.). Ce tourisme exige le développement des plateformes de mise en relation de particuliers pour la location de logements (Airbnb, Housetrip, Homelidays, etc.) Bien que ces plateformes constituent de nouveaux canaux de distribution (captation de la clientèle étrangère notamment), elles contribuent à accentuer les pressions concurrentielles.

En effet, elles facilitent l’accès des particuliers à l’activité de location ou de sous-location (résidence principale ou secondaire) sans qu’ils aient, nécessairement, à se soumettre aux obligations déclaratives, réglementaires et fiscales du secteur. Le  poids des centrales de réservation sur Internet qui  garantissent de meilleurs taux de remplissage est aujourd’hui incontournable. Dans ce contexte, les professionnels du secteur doivent miser sur un accueil de qualité, des services complémentaires (tables d’hôtes, vente de produits du terroir, etc.) et une identité forte permettant de se différencier des offres concurrentes (lieux insolites, développement durable, culture, etc.).L’enjeu est de taille ! Pour les promoteurs, il s’agit de  faire du tourisme durable, éco responsable et alternatif, un levier de développement pour les populations locales, leur permettant de s’adapter au changement climatique et d’être plus résilientes face à celui‐ci . Non seulement, il s’agit de changer la façon de faire du tourisme, mais aussi de faire en sorte que ce dernier renforce les capacités des populations locales ! La voie n’est pas tracée d’avance, tant elle signifie  de changements, de ruptures, mais aussi de mobilisation des acteurs et des professionnels. Le Président de la Fédération Interprofessionnelle du Tourisme Tunisien (FI2T)Houssem Ben Azouz ,  estime que les solutions doivent être débattues entre l’administration et les acteurs du territoire en vue de partager des solutions innovantes pour garantir un développement durable, résilient et inclusif.

61% des promoteurs  restent dans l’informel !

Les représentants de l’ONTT n’ont pas monopolisé la parole, loin de là. Mieux encore, ils se sont efforcés de jouer le rôle d’animateurs et d’écouter d’autres acteurs que sont les promoteurs, des, des animateurs de réseaux, des représentants de la société civile, des opérateurs touristiques, des porteurs de projets. Outre ses objectifs de fédérer, informer et renforcer ses adhérents, le Groupement des Hébergements Durables et Alternatifs de la Fédération Interprofessionnelle du Tourisme Tunisien (FI2T) se veut la vitrine de tous les types d’hébergements alternatifs et durables du pays.Le Président de la Fédération Interprofessionnelle du Tourisme Tunisien (FI2T)Houssem Ben Azouz ,  estime que les solutions doivent être débattues entre l’administration et les acteurs du territoire en vue de partager des solutions innovantes pour garantir un développement durable, résilient et inclusif.. Taoufik Miled a insisté sur la régularisation de la situation actuelle des 61% des  promoteurs qui fonctionnent dans l’informel avec l’urgence de mettre  en place un cahier de charges qui répond aux attentes des professionnels.

Maître Olfa Hachicha, avocate à la Cour de Cassation, a mis en lumière les obstacles juridiques freinant l’évolution de l’hébergement alternatif « Il n’ y a pas un vide juridique. L’administration applique toujours le décret de 2013 et elle continue à octroyer des agréments. Mais le flou persiste. Entre ambigüité juridique et  multiplicité des vis-à-vis  ( Ministères de l’Agriculture, de l’Equipement, de l’Intérieur, des Affaires culturelles, des municipalités), l’investisseur dans l’hébergement touristique alternatif ne sait plus où donner de la tête. Cette situation s’est compliquée  avec le décret de 2022 annonçant la suppression future des autorisations et son article 8 qui a évoqué une éventuelle élaboration d’un cahier des charges.  Le professionnel assume parfois une part de responsabilité. L’administration pourra certes l’aider à l’adoption d’une législation spécifique au secteur. Le cahier de charges  pourrait régulariser la situation des promoteurs » dit-elle. Shahla Kekhia Fesi, promotrice du Gîte rural Les Chaumières de Aïn Draham a également appelé à réviser le zonage du territoire (zones forestières, agricoles irriguées), qui bloque souvent l’octroi des agréments par le ministère de l’Agriculture.  Leila Cheguenni propriétaire de Carthage Hill, une maison d’hôtes charmante à La Marsa, a insisté sur l’importance du secteur et la nécessité de le réformer tout en autorisant  une multitude d’activités sou jacentes comme l’évènementiel, la table d’hôtes, la vente de produits de terroirs, tout en appelant la réduction du TVA de 19% à 8%. Mehdi Haloui,directeur des investissements à l’ONTT, a précisé que l’administration a toujours été à l’écoute des professionnels. Maintenant, il faut rectifier le tir. Les promoteurs doivent régulariser leur situation surtout avec le cahier de charge qui sera bientôt opérationnel.

Nébil Belaam, Président du cabinet EMRHOD

La complexité des démarches administratives est la difficulté la plus rencontrée par les gérants pour l’obtention des licences et permis nécessaires

Le Groupement des Hébergements Durables et Alternatifs de la Fédération Interprofessionnelle du Tourisme Tunisien (FI2T) a présenté en partenariat avec l’Office National du Tourisme Tunisien (ONTT) et en exclusivité l’état des lieux de l’hébergement alternatif touristique en Tunisie. Les résultats de l’étude quantitative et qualitative, commandée par la Fi2T et menée par le cabinet EMRHOD /Avril 2024, auprès d’un échantillon de 1012 personnes représentatif de la population tunisienne, âgée de 18 ans et plus. L’enquête auprès des professionnels est menée auprès d’un échantillon de 258 promoteurs du tourisme alternatif.  Les enquêtes ont été menées par téléphone, durant le mois de mars 2024, pour les particuliers et se sont étalées jusqu’à mi avril pour les professionnels. Le sondage a été mené dans les 24 Gouvernorats, en respectant les données socio démographiques de l’INS.

L’objectif de cette enquête auprès de la clientèle, comme l’a précisé Nébil Belaam  , Président du cabinet EMRHOD est de mesurer la connaissance et la perception générale des tunisiens à l’égard des chambre d’hôte en général, déterminer la proportion de voyageurs qui ont séjourné dans des chambres d’hôte par rapport à d’autres types d’hébergement lors de leurs voyages en Tunisie au cours de la dernière année, examiner les connaissances des types d’hébergement alternatifs par les tunisiens et leurs motivations et perceptions ainsi que leur satisfaction, recommandations et leurs suggestions d’amélioration, analyser les tendances géographiques et sociologiques, en mettant en évidence les régions les plus demandées et les profils des voyageurs les plus susceptibles d’opter pour ce type d’hébergement et évaluer les perspectives de croissance de la demande pour le secteur des chambres d’hôte en Tunisie. Les acteurs (propriétaires et gestionnaires), dont plus de 35% sont dans le secteur depuis plus de 4 ans, se sont aussi exprimés pour révéler que 78% de leurs clients sont des touristes et 71% de leurs clientèles des familles.

L’enquête a démontré la notoriété grandissante de la filière et la diversité de son offre. Ces derniers affichent un taux de pénétration de 9% des hébergements alternatifs et durables sur le marché local, qui lui-même présente 1/3 du tourisme tunisien global.60 % des tunisiens, ayant un revenu mensuel supérieur ou égal à 500 DT, partent en vacances au moins une fois par an. Les jeunes ont tendance à partir plus souvent que les adultes et les séniors.  La notoriété assistée des maisons d’hôtes est relativement forte (61%) . L’enquête a révélé que  34% des tunisiens n’ont jamais fréquenté une résidence de tourisme alternatif contre 29% une fois par an, 15% 3 fois par an,  14% 2 fois par an, 2% une fois tous les deux ans et 6% rarement. 35% connaissent les maisons d’hôtes et 65% n’ont aucune idée .30% ont séjourné au moins une fois contre 70% qui n’ont jamais fréquenté.

D’après cette étude, 39% des tunisiens pensent que le prix d’une nuitée dans les maisons d’hôtes est abordable alors que 22% pensent que les prix sont relativement chers. D’autre part, 43% des tunisiens s’orientent vers ce genre d’hébergement pour fêter leurs mariages et fiançailles alors que 44% préfèrent les hébergements alternatifs pour se retrouver entre amis et 52% pour se reposer. Les motivations principales qui poussent les tunisiens à choisir l’hébergement alternatif sont intimement liées à la recherche du repos, de la tranquillité et de « se retrouver entre amis ».  99% de ceux qui ont passé un séjour en maison d’hôtes n’ont rencontré aucun problème .Pour l’hébergement alternatif et durable, est-ce pour vous important qu’un site affiche autorisations, labels, assurances, prix, catégories… ? 5% ne sait pas, 10% disent sans aucune importance et 85% affirment que c’est important.Quels moyens de réservation utilisez-vous ? 26% à travers un site internet, 29% par téléphone directement,  39% en se présentant sur place et 9%  (email, via une connaissance, en se déplaçant à l’agence..etc). La bouche à oreille, la recommandation d’amis,  la recherche en ligne, la publicité et la proximité  constituent les sources de découverte des maisons d’hôtes. Les critères de choix d’une maison d’hôte sont multiples. 58% ont choisi la maison d’hôte pour sa  localisation   (calme, facilité d’accès) contre 16% pour les tarifs, 25% pour l’ambiance et 38% pour l’originalité du site . D’après cette étude, 39% des tunisiens pensent que le prix d’une nuitée dans les maisons d’hôtes est abordable alors que 22% pensent que les prix sont relativement chers

83%  des réservations se font par téléphone ou par e-mail

L’enquête « Professionnels » vise à recueillir des informations sur les difficultés rencontrées et les défis auxquels sont confrontés les gérants de chambres d’hôtes en Tunisie, tels que les difficultés administratives, les réglementations locales, les problèmes d’infrastructure..etc. analyser le marché et l’environnement, obtenir des informations sur les pratiques et les tendances du marché dans le secteur des chambres d’hôte en Tunisie, telles que les préférences des clients, les saisons touristiques, les tarifs pratiqués, le système de réservation..etc. Selon les professionnels, les établissements d’hébergement alternatifs sont principalement fréquentés par les touristes étrangers (en premier lieu) et les familles nationales (en deuxième lieu) .La clientèle professionnelle, à travers les actions GRH (team building) est une tendance de plus en plus demandée.  Les randonnées pédestres  (50%) les cours de cuisine du terroir ( 26%)  les visites du parc (17%) le  cyclotourisme (16%) les  randonnées équestres (16%)  l’ornithologie (16%)   la pêche (7%) et  la   plongée  (5%)  constituent les activités les plus pratiquées par la clientèle des maisons d’hôtes, gîtes ruraux ..etc 83%  des réservations directes utilisées par les professionnels pour la maison d’hôtes en Tunisie se font par téléphone ou par email, 78% en ligne via des plateformes de réservation,36%  par les agences de voyages, 22% de bouche à oreille et réseaux sociaux et 21%  par le biais de partenariats avec d’autres entreprises locales (restaurants, etc.) . Ces professionnels utilisent plusieurs  canaux de communication  pour promouvoir leur  maison d’hôtes en Tunisie ? 88%  optent pour les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, etc.) 32% pour le site web de l’établissement, 10% à travers des campagnes  d’email  et 17%  à travers des brochures imprimées

Pour  la mise en place d’une réglementation claire et transparente

Selon l’enquête, un gérant sur trois a pu obtenir une autorisation pour l’exploitation de son site. La complexité des démarches administratives est la difficulté la plus rencontrée par les gérants pour l’obtention des licences et permis nécessaires.  Un gérant sur quatre a dû rencontrer des obstacles sécuritaires ou administratifs dans l’exploitation de son site. Le souhait le plus important exprimé par les exploitants des maisons d’hôte pour le développement de leur activité est la mise en place d’une réglementation claire et transparente, suivi d’une politique d’encouragement (support financier) et l’amélioration de l’infrastructure de base.Côté exploitation, 7 % n’ont pas encore déposé de demande, 16% ont déposé une demande et sont en attente de l’approbation de leur demande. 71% ont obtenu une autorisation formelle pourexploiter votre maison d’hôte. Parmi les  difficultés rencontrées lors de l’obtention des licences et permis nécessaires pour exploiter leur maison d’hôte : la  longue durée d’attente pour l’approbation des documents, la complexité des démarches administratives, le cahier de charge et classement du terrain et le manque de clartés à propos du cadre réglementaire et législatif  sans oublier les obstacles rencontrés en termes d’infrastructure lors de l’installation de leur maison d’hôte :Accès limité à l’eau et à l’électricité, routes en mauvais état rendant l’accès difficile et disponibilité limitée des services de télécommunication. Pour la gestion des fluctuations saisonnières en termes d’affluence de clients dans leur maison d’hôte, ils offrent des promotions et des offres spéciales pendant les périodes creuses, diversifient les services offerts pour attirer différents types de clients. Le souhait le plus important exprimé par les exploitants des maisons d’hôte pour le développement de leur activité est la mise en place d’une réglementation claire et transparente, suivi d’une politique d’encouragement (support financier) et l’amélioration de l’infrastructure de base.

Amel Djait promotrice de Dar jebel, (maison d’hôte à Hammamet)

Alléger les procédures pour redonner des perspectives au tourisme alternatif

Les notions de tourisme responsable, durable, solidaire, équitable et communautaire sont utilisées pour nommer ces nouvelles formes de tourisme alternatif. Ce tourisme durable a ses adeptes en Tunisie. Un tourisme alternatif a vu le jour, sans pour autant dénigrer son analogue classique. Cette nouvelle forme de tourisme serait une manière de répondre à un besoin grandissant d’engagement : s’ouvrir au monde et  partager. Échapper au tourisme de masse, c’est aussi privilégier les rencontres avec les populations locales. Terminé les journées à parfaire son bronzage sur la plage sans rencontrer l’habitant : le tourisme alternatif  replace l’humain et la rencontre au cœur du voyage. Sur place, le volontaire crée du lien avec les populations locales.

Des moments authentiques, loin des zones touristiques et des cartes postales mais tout aussi inoubliables pour le volontaire. Des expériences enrichissantes, des rencontres extraordinaires, un accueil chaleureux de la part des populations. Depuis quelques années, les structures qui ouvrent sont de plus petite taille et d’un standing plus élevé : l’engouement pour les maisons d’hôtes s’y fait sentir, avec les touristes nationaux en tête. Et puis les maisons d’hôtes ont commencé à s’ouvrir un petit peu partout. Que ce soit au niveau balnéaire, etc. Mais le Tunisien lui-même, dans cette démarche post-révolution, a commencé à se redécouvrir une passion pour son propre pays. On est en train de voir arriver des jeunes dans les régions qui ouvrent des gîtes. Ce tourisme alternatif  se met doucement en place en Tunisie. Depuis plus d’une dizaine d’années, la mode du tourisme chez l’habitant règne en Tunisie. Toutefois Sur 2236 hébergements recensés, seulement 124 ont été officiellement autorisés sur le site Discover Tunisia, le site officiel de l’ONTT. Cela expose la réticence de 61% des promoteurs qui restent dans l’informel en raison des entraves juridiques. Il y a donc lieu d’organiser, soutenir, former, contrôler, digitaliser et réguler toute cette offre en raison de cette ambigüité juridique, la multiplicité des vis-à-vis et l’absence d’un cahier des charges. Cependant, l’administration n’est pas la seule responsable de ces problèmes. Certains professionnels assument parfois une part de responsabilité en installant leurs projets sans consulter ni avoir les autorisations nécessaires. Le problème sera résolu avec le cahier des charges qui pourra solutionner les différentes problématiques freinant l’investissement dans l’hébergement touristique alternatif. L’assouplissement des procédures pourra booster encore ce créneau porteur du tourisme tunisien . L’ONTT œuvre pour les changer  et les simplifier  avant qu’elles soient transférées  de nouveau au gouvernement pour les adopter

                                                                              Kamel Bouaouina