« La Voix de l’Indicible », c’est le titre de l’exposition de peinture de Faouzia Dhifallah organisée à l’espace ICARE à Tunis. Ce titre qui constitue un oxymore, réunissant ainsi deux mots opposés, « voix » et « indicible », alors qu’en réalité la voix est utilisée pour « dire » quelque chose, l’exprimer ouvertement pour communiquer et se faire comprendre. Or, dans les arts, ce titre ne semble pas loin de la logique, car l’artiste perçoit et crée son œuvre en y mettant toutes ses émotions, sans pour autant être convaincu que le récepteur ait à ressentir les mêmes émotions en regardant l‘œuvre achevée. Parfois même il en tire des significations, des conclusions qui vont à l’encontre de la pensée de l’artiste, car l’essence de l’art est la perception de ce qui est au-delà du palpable et de l’explicable, d’où provient l’aspect indicible ou ineffable dans l’expression artistique. Et c’est ce côté « indicible » qui nous intéresse le plus dans cette exposition de Faouzia Dhifallah, qui a plusieurs cordes à son arc (artiste plasticienne, philosophe, poétesse et romancière).
L’indicible ici s’apparente à la partie cachée de l‘iceberg, où le récepteur pourrait déceler de nouvelles émotions, de nouvelles idées, de nouvelles impressions que la voix du peintre n’a pas pu révéler. Et c’est là que réside la force de l’expression artistique (entendez la voix de l’artiste) qui tend aussi à transmettre ce qui est indicible. Ne dit-on pas que l’essence de l’art est de faire apparaitre le « non-dit », ainsi que l’indicible, l’ineffable et parfois même l’inexprimable ?
Dans cette exposition, toutes les œuvres nous parlent, à haute voix même, à travers les formes, les couleurs, les lumières et les techniques, des préoccupations de l’homme actuel et de sa condition dans ce monde qui nous réserve beaucoup de surprises, dans tous les domaines. Le visiteur s’attarderait volontiers devant ces toiles et ne saurait dissimuler son admiration, mais aussi sa perplexité, si bien qu’il se livrerait à des questionnements divers. C’est que l’œuvre d’art peut cacher une part d’ineffable, d’indicible que le pinceau ne parvient pas à exprimer ou à traduire à travers les traits, les formes, les signes ou les couleurs (s’agissant d’un sentiment, d’une attitude, d’une qualité ou d’un défaut, d’un événement, d’une atmosphère…) Car, parfois, il est difficile dans un contexte bien précis de mettre en mots ou en images des idées ou des émotions indicibles.
Dans toutes les œuvres de cette exposition, on remarque une nouvelle approche artistique qui associe à la fois peinture, philosophie, sciences humaines, poésie, sans oublier l’aspect spirituel et émotionnel. Aussi peut-on dire qu’il existe des effluves poétiques et philosophiques dans les œuvres exposées. Poétique dans la mesure où « la poésie est une peinture parlante et la peinture une poésie muette », pour emprunter cette expression qui revient à Simonide (poète lyrique grec), inlassablement répétée à travers les époques. Philosophique, car l’artiste a pu exprimer par des moyens et des techniques artistiques abstraites ce que le philosophe exprime avec des moyens conceptuels et spirituels.
Outre les messages véhiculés par ces travaux, il y a lieu de mentionner que le visiteur ne saurait cacher son envoûtement devant ces textures soigneusement tramées, ces traits et ces signes symboliques, ces formes irrégulières et inhabituelles, ces couleurs tantôt claires et tendres, tantôt sombres et criardes et toutes ces contrastes qui créent des dynamiques visuelles et émotionnelles chez le visiteur, le poussant à maintes interprétations pour en dévoiler les mystères cachés par l’œuvre, autrement dit, l’aspect indicible. La peinture de Faouzia devient ainsi une expérience émotionnelle partagée entre l’artiste et le public : Faouzia s’engage dans un dialogue subtil avec la toile, explorant ses propres émotions tout en laissant place à l’interprétation personnelle de chaque spectateur. Bref, si l’artiste utilise sa « voix » artistique pour émouvoir et bouleverser le récepteur, ce dernier a la possibilité de chercher l’ « indicible » dans chaque toile. Car l’art est subjectif, et chacun peut interpréter une œuvre de manière différente, quitte à en déceler l’« indicible », cet aspect latent de l’œuvre qui est souvent aussi expressif que son aspect manifeste.
Hechmi KHALLADI