La ville d’El Haouaria abrite chaque année le fameux festival de l’épervier qui a eu lieu cette année du 21 au 23 juin 2024. Ce rapace fait partie de la famille des oiseaux de proie. Doué pour jouer sur l’effet de surprise, c’est un chasseur impitoyable qui vit normalement dans les régions boisées. Toutefois, il a de plus en plus tendance à fréquenter nos villes et nos jardins où il peut trouver facilement sa nourriture préférée notamment au Cap Bon. Fin chasseur, l’épervier mise sur l’effet de surprise d’une attaque foudroyante pour attraper ses proies. Pour ce faire, il vole bas, presque au ras du sol, et il se cache grâce aux haies ou aux buissons pour fondre sur ses proies sans qu’elles n’aient eu le temps de le voir.
Obstiné, il peut même frapper les branchages parmi lesquels ses victimes se réfugient et poursuivre inlassablement une proie potentielle qu’il a repérée. Au point parfois de finir sa course… à pied ! S’il le faut, il se pose à terre et il la suit dans les bois ou dans la végétation épaisse. Sa vision porte sur huit kilomètres. Il s’agit du basard marin, qui se distingue par la puissance des serres et du bec, ainsi que par sa vitesse d’attaque qui varie entre 200 et 250 km/h.
De la péninsule ibérique à la côte pacifique et de la Scandinavie au bassin méditerranéen, incluant le Maghreb, six sous-espèces sont observables. Elles quittent leurs terres pour migrer vers le sud dès le milieu du mois de mai. La majeure partie s’installe alors à Al Haouaria, Hammam Ghezaz et Kélibia. En Egypte ancienne, l’épervier est l’incarnation du dieu Horus, l’ancêtre de tous les pharaons. En Inde, dans la religion brahmanique, le dieu Indra prend souvent la forme d’un faucon qui apporte aux hommes la nourriture goûtée des dieux. Dans la littérature scandinave et germanique, le faucon est l’oiseau préféré des héros. Il est l’insigne militaire d’Attila, le roi des Huns qui envahit la Gaule et l’empire d’Orient. Dans l’Iliade d’Homère, la déesse Athéna descend du ciel sous l’aspect d’un faucon lançant un cri perçant afin d’exciter Achille au combat.
D’autres cultures antiques ont aussi rendu hommage au faucon : Chez les Perses, il était un animal protecteur ; on en trouve, au Pérou, dessinés sur des pièces céramiques incas. De tous temps, et sous toutes les latitudes, cette tradition a été mise en valeur …A l’heure actuelle cette pratique connaît un renouveau exceptionnel et survit, grâce surtout au dévouement des fauconniers surtout après la disparition du souk Essef en 1967.
La fauconnerie, une tradition millénaire
La fauconnerie (chasse au faucon) représente un patrimoine tunisien authentique et une tradition séculaire pratiquée depuis près de deux siècles dans la région d’Al Haouaria.
Il s’agit d’un héritage tunisien propre à la région et continue d’être transmis de génération en génération par les habitants de la région .L’UNESCO a, par ailleurs, proclamé le 16 novembre de chaque année Journée internationale de la fauconnerie, une occasion de célébrer ce patrimoine humain vivant inscrit sur sa liste représentative du patrimoine culturel immatériel.
Ainsi, la chasse avec ces oiseaux de proie est restée omniprésente dans les diverses manifestations, notamment lors du festival de l’épervier. Dans ce cadre, l’association régionale des fauconniers d’El Haouaria joue un rôle prépondérant en la matière puisqu’elle veille à la préservation de cet art de la chasse afin de l’inculquer aux générations montantes. Ce phénomène naturel, véritable aubaine, a fait de cet endroit un lieu favori pour le développement de l’art de la volerie et sa transmission de père en fils.
Tradition originale et populaire, la fauconnerie repose sur l’affaitage de deux seules espèces de la gent ailée parfaitement adaptée aux modes de chasse pratiqués à savoir l’épervier ou sef pour la chasse de la caille et le faucon pèlerin ou borni pour la chasse de la perdrix. Bien ancré, l’art de la fauconnerie, legs de nos ancêtres, inspire par sa noblesse et son authenticité, un sentiment d’orgueil et de fierté. C’est le cas de ce jeune fauconnier qui a été initié dès son jeune âge pour prendre soin du faucon et ce, en apprenant à le placer sur le perchoir, le nourrir, le dresser et couvrir sa tête par un chaperon et le poser sur son poing ganté avant de lui ordonner à se lancer sur une proie et de revenir par la suite se poser sur son poing. Les fauconniers Houariens préservent amoureusement cette tradition millénaire .
Cet art de dresser les faucons pour la chasse séduit au premier coup d’œil les visiteurs de cette manifestation haute en couleur et riche en évènements. Cette pratique ancestrale, ayant connu autrefois ses plus belles lettres de noblesse, fait la fierté des fauconniers présents à ce célèbre festival. Approché, Abdelmajid Brahem, fauconnier, directeur du festival de l’épervier et de l’Association régionale des fauconniers d’El Haouaria, a fait part de sa joie de prendre part à cette manifestation afin de faire découvrir sa passion aux visiteurs, durant ce grand rassemblement populaire.
« Ce sont nos parents grands-parents qui nous ont appris cet art, lequel requiert un savoir-faire et un long et patient dressage des faucons. Nous citons Mohamed Arbi Samoud, Mahmoud Znaidi, Mouaouia Chabouh, Lamine Bach et Ali Maamouri », a-t-il fait savoir. D’autres malgré leur âge avancé ne cessent de pratiquer cet art comme Mohamed Ghribi, Mokhtar Belhadj, Ali Krari, Mohamed Néjib Znaidi . Les faucons-pèlerins sont sédentaires et chassent les perdrix en haut vol. Quant aux éperviers, ils chassent les cailles en vol bas, sont migrateurs et après la période de chasse les villageois les relâchent, en moins d’une semaine ils redeviennent sauvages.
L’art séculaire de la chasse à l’épervier et au faucon dans cette région de Tunisie est une technique transmise de génération en génération. C’est pourquoi a précisé, le directeur du festival, que l’objectif de cette manifestation est la protection des oiseaux et la conservation de la nature. L’association œuvre, en plus de l’enseignement et de la préservation de ce métier, à créer des projets de développement respectueux de l’environnement, dont la mise en place d’une réserve pour les oiseaux protégés, les oiseaux nicheurs et les proies utilisées dans l’opération de chasse ainsi que de circuits touristiques.
Fidèle à sa vocation, cette 55eme édition essaie de promouvoir la culture et le patrimoine de la région sur un fond d’animation varié et alléchant avec au menu un concours de Ball trap au club des fauconniers, des exhibitions de fauconnerie, des spectacles de folklore, de cavalerie, de fantasia, l’organisation des foires des arts plastiques, du livre, des jeux géants, du patrimoine et des produits du terroir. Les démonstrations de chasse passionnent de plus en plus les visiteurs qui sont fascinées par le spectacle du lâcher de petits gibiers à plumes, très vite rattrapés par les rapaces lancés à leurs trousses.Rarement cailles et perdrix ont pu échapper à leurs poursuivants aux yeux perçants et aux serres acérées qui, en plein vol, fondent sur leur proie, la projetant très vite au sol, sous une immense clameur des spectateurs.
El Haouaria compte environ 150 éleveurs d’épervier et une dizaine d’éleveurs de faucon borni. Conscients du caractère fragile de leur art, les amateurs de fauconnerie se mobilisent également dans la lutte contre la disparition des oiseaux de proie, une espèce menacée d’extinction il y a peu, mais qu’ils tentent par tous les moyens de faire vivre et prospérer. « Ne peut chasser au faucon qui veut. C’est un privilège qui n’est en principe accordé qu’aux titulaires d’un permis de chasse. L’autorisation donnée à un fauconnier de détenir un faucon est délivrée expressément par l’Association régionale de fauconnerie avec des recommandations très fermes; Quant aux braconniers, les lois sont faites pour les pourchasser.
Faisant partie des espèces protégées, le faucon ne peut être en effet capturé sans autorisation spéciale et selon une technique particulière. Nous essayons de protéger ce rapace avec la Fédération nationale des associations de chasseurs et des associations spécialisées en chasse. Nous luttons pour la réglementation de la chasse et pour sa conformité aux lois nationale et internationale et pour l’interdiction de la chasse au filets fixes. La fauconnerie, autorisée en Tunisie, de mars à fin juin, est régie par la les dispositions du Code forestier, révisé par la loi 88-20 du 13 avril 1988. L’article 165 (nouveau) stipule que la chasse vise l’équilibre entre les animaux sauvages, le couvert végétal et les activités humaines.
A cet effet, les chasseurs sont tenus d’exercer cette activité avec rationalité et responsabilité et de conserver l’équilibre et la durabilité des écosystèmes. Les instruments de chasse autorisés sont les fusils de chasse, les oiseaux rapaces et les chiens dressés pour la capture du gibier.Les oiseaux de vol détenus légalement, doivent être convenablement logés, soignés, nourris, équipés, dressés et entraînés uniquement pour la chasse. C’est une particularité d’El Haouaria» nous explique le Président de l’Association régionale des fauconniers d’El Haouaria, annonçant la volonté de présenter la candidature de la Tunisie pour inscrire l’épervier sur la liste du patrimoine immatériel mondial de l’Unesco.
Kamel BOUAOUINA