Par Slim BEN YOUSSEF
Quel est le plus sûr moyen de se défendre de la mort scandaleuse – et scandaleusement régulière – de femmes rurales défavorisées et surexploitées, entassées comme des pastèques dans des camionnettes de fortune qui sillonnent les routes régionales et les sentiers agricoles, au vu et au su de tout le monde, matin et soir, sans que rien ou personne ne puisse y remédier ? Il est triste de dire qu’il n’en existe que deux moyens : la tenir sous silence pendant des décennies ou se mettre à en parler vainement à outrance et finir par la banaliser.
En Tunisie, le drame des ouvrières agricoles ne date pas d’aujourd’hui et encore moins d’hier. Seulement, il était resté tabou pendant bien trop longtemps. Ce n’est qu’à partir de 2011, lorsque les Tunisiennes et les Tunisiens ont arraché leur liberté d’expression, et avec elle la liberté de presse, que l’on commença à « découvrir » l’un des recoins les plus sombres de notre pays, entre autres sinistres fléaux qui rongeaient et qui rongent toujours les milieux ruraux – et urbains – les plus sous-développés et défavorisés. Certes, le sujet a depuis fait couler des tonnes d’encre, mais a-t-on jamais apporté la preuve que l’origine du drame n’a pas partie liée avec la culpabilité ? L’imposture ? La mauvaise foi ? La fourberie ? La honte. Si la classe politique qui gouvernait le pays avant 2011 étouffait la tragédie rurale sous les youyous, celle de la décennie noire, aujourd’hui en cavale, en a fait une tromperie électorale. Seuls qui désapprouvaient le caractère à leurs yeux réactionnaire de la mascarade en ont conservé la mémoire.
Tragédie rurale ? Sans doute existe-t-il une troisième voie en dehors des youyous et des calculs politiques et électoraux perfides et étroits. Il est aussi évident que la problématique nécessite bien plus que des mesures urgentes, aussi efficientes qu’elles soient.
Soyons francs envers le pays et envers nous-mêmes : aujourd’hui, seul un Etat social, interventionniste et agissant, est en mesure d’attaquer le problème depuis ses racines, c’est-à-dire en remédiant à l’injustice historique faite au milieu rural et à tous les milieux sous-développés et défavorisés.
La perfidie du laisse aller laisse faire, les partis pris violemment « rationalistes », libéralistes, ultra-modernistes, des positions défendues jusqu’à la véhémence, ont poussé leur échec jusqu’à la catastrophe. C’est le moment ou jamais de reconstruire un idéal d’Etat social.