Alors que le tourisme affiche une belle saison, près de la moitié des agences de voyage sont dans une situation économique difficile. La valeur ajoutée échappe à la profession faute d’avoir anticipé les transformations numériques et le comportement d’achat du touriste. Pour assurer sa pérennité, ce secteur des agences de voyages doit se régénérer, se réinventer et innover, et mettre en place un nouveau tourisme en sortie de crise, qui soit plus durable, plus participatif et plus numérique, comme l’affirme Sami Ben Saidane, vice-Président de la Fédération tunisienne des agences d voyages (FTAV).
Le Temps.news : Le transport terrestre est-ce un frein considérable à votre activité ?
Sami Ben Saidane : Nous œuvrons pour faire évoluer notre métier et nous adapter aux nouvelles attentes des consommateurs. Notre métier demande que nous nous mettions à la place du client. À nous d’établir des liens de confiance, de respecter les prestations contractuelles et les prix annoncés. Plusieurs problèmes entravent notre métier . Le secteur touristique est toujours exposé à des problèmes structurels et reste tributaire de la performance des secteurs liés, à l’instar du transport terrestre.L’activité est sanctionnée par la situation du transport terrestre en Tunisie qui reste marquée par l’absence de moyens de transport en commun permettant l’interconnexion des grandes villes. . L’activité des agences de voyages est également limitée par des problèmes relatifs au manque de transport touristique et par la situation parfois déplorable des moyens de transport touristique, vu le manque de moyens et les répercussions de la crise qui a frappé le pays depuis 2017 . Le parc du transport terrestre touristique est extrêmement limité et de plus en plus vétuste. Les agences de voyages ne bénéficient plus des privilèges fiscaux pour acquérir ce type de bus. Il faut 800 mille dinars pour acquérir un bus neuf en Tunisie alors qu’on peut importer des bus neufs (2éme main ) à 150 mille dinars.
Plusieurs agences de voyage qui opèrent dans l’Outgoing sont menacées aujourd’hui de mettre la clé sous le paillasson. Comment comptez-vous résoudre ce problème ?
L’activité de l’Outgoing n’a cessé d’évoluer ces dernières années. En 2006, l’enveloppe réservée à cette activité était de 10 millions de dinars pour passer à 20 millions de dinars en 2014 et 25 millions de dinars actuellement. Ce plafond imposé par le est en deçà des besoins réels du marché et ne suffit pas pour payer nos partenaires. Il ne faut pas au moins 150 mille dinars sachant qu’une nuitée passée à l’étranger coûte plus de 150 euros. Nous avons déjà pris des engagements auprès de partenaires étrangers pour des voyages déjà consommés.
Qu’en est-il des agences billettistes et de leurs rapports avec les compagnies aériennes ?
Le secteur de la billetterie doit disparaître en raison de la digitalisation . Le consommateur a changé . Il n’est plus le même. Les billettistes sont en difficulté car le marché est restreint alors que le nombre des agences de voyages ne cesse d’augmenter. La vague numérique dans l’industrie mondiale des voyages et la transformation radicale du comportement d’achat des touristes ont fait de gros dégâts chez les voyagistes même si ces derniers se défendent d’avoir raté le train de cette révolution et de ne pas avoir anticipé ces changements. Pourtant, le décrochage structurel des voyages à forfait devait sonner comme un avertissement pour la profession.
Il a fini par faire éclater le modèle économique des intermédiaires. Les plateformes en ligne comme Booking.com ou Expedia, très présentes sur le marché tunisien, sont directement accessibles par les voyageurs. Ces derniers peuvent rechercher et réserver des vols, des hôtels et d’autres services touristiques sans nécessairement passer par une agence de voyages. Le résultat, les agences de voyages agissant dans la billetterie aérienne, sont en difficulté et ne sont pas en mesure de s’acquitter auprès de l’IATA (l’Association du transport aérien international, qui collecte les recettes des billets d’avion pour le compte des compagnies aériennes).
Comment lutter contre le secteur informel qui menace la pérennité de votre activité ?
Notre secteur souffre depuis des années de la concurrence illégale des agents non agréés, une sorte de marché parallèle du voyage bien huilé où les arnaques sont légion. De quel droit ces agences se prévalent-elles pour travailler ? Elles disposent d’une licence dite de « société de services », et n’autorise en aucun cas la vente et le commerce du voyage de quelque nature que ce soit..Ils vendent à prix cassés des services qu’ils n’honorent pas.
La FTAV compte 1600 adhérents. Mais ils ne sont que 350 réellement à exercer légalement . Avec mille dinars, tu peux ouvrir une société de service . 8000 travaillent actuellement dans le circuit parallèle . Nous attirons régulièrement l’attention des pouvoirs publics sur ce sujet mais la balle est aussi dans le camp des consommateurs. D’où la nécessité de réviser le cahier des charges et mettre en œuvre des chantiers, un accompagnement et des réformes réglementaires pour réorganiser et mettre à niveau l’activité des agences de voyages
Propos recueillis par Kamel BOUAOUINA