« La plage du centre-ville est la vitrine et l’emblème de Hammamet. Mais ce littoral est gravement fragilisé », alerte Salem Sahli, président de l’Association d’éducation relative à l’environnement. En cause : une urbanisation anarchique et les effets croissants du réchauffement climatique — tempêtes plus violentes, élévation du niveau de la mer.
Des sites emblématiques comme Sidi Bouhdid, Dar Laveau, le restaurant de la plage, la recette des finances, le collège Chebbi, les villas en bord de mer et plusieurs hôtels sont aujourd’hui menacés. « Ils devront tôt ou tard battre en retraite. L’avancée de la mer est fulgurante », insiste Sahli.
Un rapport de la Banque mondiale, publié en 2020, confirme la gravité de la situation : entre 2006 et 2019, Hammamet a perdu 24 000 mètres carrés de plage, avec un recul du trait de côte allant de 3 à 8 mètres par an. Et la tendance s’est encore aggravée ces dernières années.
Chronique d’un littoral maltraité
Le président de l’association déplore aussi la disparition des dunes bordières sur la plage du centre, qui jouaient un rôle essentiel dans le rechargement naturel en sable. « L’aménagement du littoral n’a pas respecté les écosystèmes. Le lit des oueds, qui acheminent 85 % des sédiments vers la mer, a été recouvert. Ces erreurs aggravent l’érosion. »
Selon lui, les constructions n’ont jamais été précédées d’études sérieuses sur la dynamique côtière. « Tout s’est fait dans l’urgence, sans vision d’ensemble. »
Depuis le début des années 90, son association tente de sensibiliser sur l’érosion côtière. « Nous avons multiplié les actions : colloques, séminaires, tables rondes, expositions, outils pédagogiques… mais rien n’y a fait. » Pour Salem Sahli, seule une prise de conscience collective permettrait d’inverser la tendance : « Comprendre le phénomène, c’est déjà agir. Et cela permet de mettre en place des solutions douces pour en atténuer les effets. »
Ce que la mer rejette, c’est notre imprévoyance
Salem Sahli pointe également l’échec des tentatives de rechargement artificiel de la plage. « En 2023, une première opération a été menée, mais à la première tempête, la mer a aussitôt englouti le sable, qui provenait d’une carrière à Borj Hfaiedh, en périphérie de Hammamet. » Rebelote en 2024 : l’Agence de protection et d’aménagement du littoral (APAL) a procédé à un second rechargement, cette fois avec 15 000 m³ de sable venus des carrières d’El Oueslatia (gouvernorat de Kairouan), pour un coût de 1,1 million de dinars. Là encore, aucune étude préalable, aucune compatibilité assurée.
« On ne recharge pas une plage avec n’importe quel sable. La mer rejette ce qu’elle ne reconnaît pas, comme un organisme qui expulse un corps étranger », explique-t-il.
Plaidoyer pour un littoral respecté
Mais un nouveau pas semble être franchi avec la phase 4 du Programme de Protection du Littoral Tunisien (PPLT4), financée par la coopération tuniso-allemande. Les bureaux d’étude ont récemment présenté la version provisoire du rapport d’état initial portant sur la zone Beni-Khiar – Yasmine Hammamet. Un document « consistant et riche en données », selon Sahli, qui appelle à en tirer des décisions urgentes.
Parmi les sept zones critiques identifiées, il estime que la priorité devrait aller à la zone Yasmina – centre-ville de Hammamet, où l’érosion atteint -9 mètres par an. « Ce site a une importance socio-économique et touristique majeure. Sa plage risque de disparaître purement et simplement. »
Le rapport désigne la densification urbaine comme principal facteur de vulnérabilité. « Il est essentiel que l’étude débouche sur des recommandations concrètes : révision des plans d’aménagement à Béni-Khiar et Hammamet, entretien des oueds, construction de petits barrages, préservation des bassins versants… Les solutions doivent être fondées sur la nature. »
Un test pour la conscience écologique
Sahli déplore toutefois l’absence, dans ce premier rapport, de données précises sur l’évolution de l’érosion si rien n’est fait. Il appelle à une vigilance accrue dans les choix futurs. « Les impacts potentiels sur les sites archéologiques et patrimoniaux – Neapolis, Pupput, la Médina, le Centre culturel, le cimetière – ainsi que sur les paysages doivent être pleinement intégrés à l’étude. »
Il reste aussi une question cruciale : d’où viendront les centaines de milliers de mètres cubes de sédiments nécessaires ? Gisements marins ou carrières terrestres ? Une étude d’impact est prévue, mais Sahli appelle à la rigueur : « Elle ne doit pas se limiter à ce qui est immédiatement visible ou circonscrit. Il faut anticiper les effets en amont et en aval, dans toute la chaîne des transformations possibles. »
En conclusion, il salue ce premier jet, qui « permet de comprendre avant d’agir », et insiste : « Intervenir sur un espace aussi fragile que le littoral demande une expertise fine. Et s’il doit y avoir traitement, il doit être le plus doux possible. Primum non nocere – d’abord, ne pas nuire. C’est la règle d’or. J’ai confiance dans les spécialistes et je salue cette coopération entre chercheurs, institutions et société civile. »
Kamel BOUAOUINA